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Elections : ces 10 % d'abstentionnistes qui font la décision

Écrit par Yann-Yves Biffe.

 

Le coup de tonnerre du 1er tour annonçait l'orage de l'élection de présidents de régions FN. Et puis non. Entre temps, les paratonnerres de la 5è République sont entrés en jeu. Ces abstentionnistes décisionnaires, représentant 10 % des inscrits quand même, ne voient pas l'intérêt de se déplacer pour départager gauche et droite de gouvernement, mais agissent quand l'enjeu est simple et fort.


Ca donne à penser que 10 % des électeurs ont besoin d'être stimulés pour aller voter

Le scrutin des régionales 2015 l'a clairement montré : l'identification par les électeurs d'un enjeu important, qui les touche, est le premier facteur augmentant la participation. Toutes les raisons étaient réunies pour obtenir un taux d'abstention record : des élections en décembre, au moment des courses de Noël, avec une campagne tronquée par les attentats et la COP 21, à une échelle relativement éloignée des citoyens…
Et puis les résultats du 1er tour ont éclairé les enjeux du 2d de façon extrêmement claire, simple voire simpliste, transformant le vote en un référendum qui aurait appelé à répondre à la question « souhaitez-vous ou pas confier la gestion de votre région aux candidats du Front National ? »

Résultat : une participation qui a bondi de près de 19,5 % en une semaine :
Selon Le Monde.fr, "la participation lors du second tour des élections régionales, dimanche 13 décembre, a atteint 58,53 % au second tour des élections régionales, contre 49 % au premier tour dimanche dernier. Ce taux est aussi supérieur de 10 points à la participation enregistrée lors du deuxième tour des régionales de 2010 (43,47 %), et de 6 points par rapport celui du précédent scrutin, en 2004 (51,24 %). »

La preuve, c'est que les régions où le vote ne répondait pas à cette alternative ont connu un regain de participation plus faible, comme la Bretagne où le FN ne présentait pas une menace, avec + 10,3 %, contre +23,2 % en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine et 20,9 % en Bourgogne-Franche-Comté (+20,9 %). « Ces deux régions étaient menacées par un succès du Front national à l’issue du premier tour. »

Ce constat n'est pas le phénomène isolé d'un dimanche atypique de décembre, mais une véritable ligne directrice puisque « ce sursaut de participation est équivalent à celui rencontré entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002, quand Jean-Marie Le Pen s’était qualifié pour le second tour. »

La couverture des médias autour de la constitution d'un front républicain a fortement influencé cette participation et je ne reviendrai pas dessus, si ce n'est sur un aspect passé relativement inaperçu. Certains médias ont en effet relayé une critique de la gauche reprochant à la droite républicaine de ne pas lui avoir rendu la pareille en ne retirant pas ses listes arrivées en 3è position derrière le PS et le FN. Or, c'est ce maintien qui lui a permis de gagner dans certaines régions. Le front anti-FN fonctionne grâce au retrait des listes de gauche quand la droite est en position éligible face au FN. A l'inverse, il ne marche que si les listes de droite ne se retirent pas quand la liste de gauche est en position favorable face au FN. C'est ce qu'a fait Dominique Reynié en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées en bon connaisseur de la science politique, empêchant nombre de ses électeurs de se retourner vers l'extrême-droite.

Ca donne à chercher pourquoi la majorité silencieuse s'abstient

In fine et au-delà des stratégies électorales en présence, le gain soudain de participation montre surtout qu'il y a une frange importante des électeurs qui n'est pas par nature désintéressée du vote mais rechigne à exercer ce droit.
On peut penser qu'une partie au moins se trouve plus ou moins en accord avec la politique menée par les partis de gouvernement : libertés individuelles, sécurité, justice, gestion classique et éprouvée (pour le meilleur et le moins bien, mais dans des limites à peu près connues), attention sociale… Bref, ce qui semble être le socle non négociable de l'État-Providence moderne. Ses pourfendeurs peuvent aussi le désigner comme « la pensée unique ».
Une autre partie n'adhère sans doute pas consciemment à ces valeurs, mais craint le changement (je veux dire le bouleversement, le vrai changement, pas celui de « maintenant », ). Elle pense que la situation actuelle a plus d'avantages que d'inconvénients et ne veut pas prendre le risque d'un pouvoir politique alternatif.
Le PS et les Républicains qui se succèdent au pouvoir assurent les attentes minimales de ces deux franges. Aussi, ces abstentionnistes ne voient habituellement pas l'intérêt de se déranger pour aller voter.

Pourtant, ils représentent environ 10 % des inscrits, de quoi faire basculer n'importe quelle élection !
Et sans aller jusque là, leur non-expression influe sur le gouvernement de la France. Si cette France du consensus silencieux était susceptible de voter, elle serait recherchée prioritairement par les candidats. Le cas échéant, est-ce que Nicolas Sarkozy aurait durci sa ligne en direction de l'extrême droite en 2012 ? Est-ce le calcul de François Hollande quand il snobe la gauche du parti et les Verts, comme a pu le faire Le Drian aux Régionales ?
Pour réussir ce pari, il faut être sûr de mobiliser ces abstentionnistes. C'est par définition difficile.

Ca donne à imaginer des propositions très lisibles pour pousser les silencieux à voter

Que faire pour assurer régulièrement la participation de cette frange qui est le socle de la majorité silencieuse, qui a un avis et dont la non-expression vicie les résultats des votes et la direction dans laquelle est gouverné notre pays ?
Il apparaît qu'il faut lui proposer des alternatives tranchées, des proposition marquantes et très lisibles.
Ce qu'elle trouvait (ou ses prédécesseurs) dans les idéologies : une offre politique claire, avec les bons contre les méchants, le rouge contre le bleu, les pauvres contre les riches, etc. Bref, le manichéisme dans le bulletin de vote.
Ce n'est pas d'ailleurs tant les idéologies que nos abstentionnistes regrettent, que le rejet qu'elles pouvaient susciter puisqu'il fallait éloigner le risque de prises de position trop tranchées, voire d'une révolution.

Mais les temps ont changé, les couleurs sont délavées. Les idéologies sont mortes et ne semblent pouvoir ressusciter. Elles ont été abattues par le bon sens, le réalisme de la gestion citoyenne qui est totalement politique mais finalement pas politisé. De celui qui permet de dire que « c'est un bon maire » ou président de conseil départemental.
La gestion d'une collectivité confine au pilotage d'un avion de ligne, avec la combinaisons de complexité toujours croissantes. Alors pensez pour un pays ! La réalité du quotidien est au coeur d'environnements dont la technicité s'intensifie inexorablement (finances, juridique, sécurité, coopération internationale…) alors même que, parallèlement, le cadre s'élargit, comme une piscine dont les bords à atteindre pour souffler s'éloigneraient progressivement. Les frontières dans notre monde physique, qu'on le veuille ou non, sont définies par leur porosité et n'ont tout simplement plus court dans celui d'internet qui redéfinit les sociétés.
Alors, quand le programme le plus valable semble être le bon sens, difficile de proposer des enjeux clivants !
La bonne gestion ne déplace pas les foules, d'autant qu'on ne peut en juger qu'a posteriori et que ce n'est donc pas vendable électoralement.

L'alternative tranchée dans la proposition électorale doit-elle alors passer par le dénigrement de l'autre candidat (je veux dire encore plus que maintenant) avant la mise en avant de ses propres qualités ? Les Etats-Unis sont-ils l'avenir de la démocratie dans ce domaine, où les candidats engagent des dépensent incroyables uniquement pour faire passer leur challenger pour un abruti ?
J'espère que non. Mais la marge de manœuvre des candidats est étroite pour faire émerger une offre très lisible. Cela passe par le fait de concentrer leur propos sur un point de programme segmentant. C'est dangereux car cela leur permet d'être identifié mais également réduit à quelque chose qui peut les discréditer par rapport à d'autres électeurs. Ils ne le veulent pas car cela les réduirait à proposer une alternative pour ou contre très risquée.
Mais à l'inverse, faire adhérer à leurs priorités en les simplifiant, au-delà du caractère démagogique, peut les rendre inaudible, en particulier par notre frange des 10 %.

Alors, doit-on tirer un trait sur ces 10 % de participation et les voir comme une roue de secours exceptionnelle ?
Certes, les politiques, dans la définition de leur offre, leur façon d'agir, détiennent la majeure partie de la réponse. Mais les conditions de vote peuvent aussi contribuer à une meilleure participation. Si c'est plus simple de voter, notamment par internet, peut-être ceux qui estiment eux-mêmes que leur voix a peu de valeur, consentiront-ils à l'exprimer ? C'est ce que nous aborderons dans une prochaine chronique...

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