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Pourquoi Facebook va disparaître

Écrit par Yann-Yves Biffe. Publié dans Opinions

Elle s'est démultipliée, s'est répandue partout. Elle est devenue incontournable. Elle a dominé le monde, inspirant crainte et admiration à tous les autres. Pour autant, la race des dinosaures a disparu ! Géant incontesté de la planète communication numérique, Facebook est condamné au même sort. Certainement. Parce que le sommet est toujours suivi de la descente. Parce que les jeunes qui tirent le modèle vont commencer à s'en détourner. Parce que le fondement même de Facebook, s'il n'est pas recadré, porte les germes de son rejet par des utilisateurs raisonnables.

Facebook dépasse tous les sommets... Il faudra bien redescendre !

C'est une des bases du cycle de vie du produit enseigné dans les cours de marketing (mais présenté autrement) : au bout d'un moment où le produit est au top, il a fait le plein, l'intérêt du public se dégrade. Il faut alors changer le produit pour le relancer ou s'en détourner pour en lancer un meilleur. Tout passe, tout lasse et il n'y a pas de raison que Facebook échappe à la règle, surtout au vu de la rapidité de son ascension qui s'est appuyée sur des qualités indéniables mais aussi sur un fort effet de mode. Or la mode est saisonnière et éphémère, on le sait.

Reste à identifier quand Facebook sera au sommet de la courbe. Aujourd'hui, avec 550 millions de membres dans 207 pays, 30% de la population couverte dans 17 pays dont la France, les chiffres donnent le vertige et incitent à regarder vers le bas. Pourtant, certains dont les financiers (pas toujours des visionnaires ces dernières années cela dit) pensent que le nombre d'utilisateurs peut atteindre le milliard, quand le créateur Marc Zuckerberg viserait l'humanité entière.

Facebook future victime de son succès

Le fait de pouvoir parler à tous et de tout a fait le succès de Facebook. Mais les mêmes recettes pourraient précipiter son déclin :

Facebook, victime de son universalité
Les jeunes veulent parler au monde entier... et surtout aux autres jeunes qu'ils connaissent. Pas à leurs parents, voire grands-parents ou à leurs profs ! Or, tout le monde est sur Facebook, au propre comme au figuré, des enfants de l'école primaire aux retraités de 70 ans et plus. Côté image, c'est déjà un peu ringard de partager les mêmes outils que ces « vieux », mais surtout, pour créer la connivence avec son groupe, il y un gros risque de voir ses propos un peu provoc tomber entre de mauvais yeux. Si c'est pour parler politiquement correct, quel intérêt à s'exprimer ? Skyrock, qui héberge 33 millions de blogs, a soulevé cette attente et fait le pari du retour à un cadre d'expression maîtrisé, privatif au sens large. Ce groupe de média a lancé le « blog secret », accessible aux seuls invités du titulaire du blog, sans annuaire mondial. Le début d'un renversement de tendance ? Dominique Cardon, sociologue au laboratoire des usages d'Orange Lab, cité par Laure Belot dans le Monde du 26 janvier 2011, acquiesce : « Il se pourrait que les jeunes réinvestissent de nouveaux espaces pour éviter d'être sur les mêmes sites que leurs parents ».

Facebook, victime de sa généralité
Le désintérêt peut également toucher les moins jeunes. Réseau généraliste, Facebook a séduit par sa simplicité. Aujourd'hui et plus encore demain, de nouveaux réseaux sociaux vont s'affirmer  avec des fonctionnalités améliorées et plus complètes. Ils vont surtout mieux cibler les communautés auxquelles ils s'adressent. Certains vont regrouper des passionnés par centre d'intérêt, comme le jardinage, le bricolage, la course à pieds... avec l'apport de community managers enrichissant les contenus, ou fédérer autour de valeurs à l'exemple de Lemnamara, centré sur l'entraide des membres. D'autres vont servir de supports aux pratiques dans les organisations (réseaux sociaux d'entreprises). Or, le temps n'est pas extensible et si les internautes se consacrent à de nouveaux réseaux, ils risquent de délaisser les anciens.

D'un réseau global et touche à tout, les attentes risquent donc d'évoluer vers des réseaux spécialisés, ciblés et pointus.

Facebook, un jour achevé par le retour à la raison de ses utilisateurs

Facebook porte en lui les raisons de son déclin. On évacuera ici la question de la mise à nu ou de la vente aux multinationales des données personnelles, question morale importante mais pas de nature à remettre en cause le modèle dans un monde où la culture anglo-saxonne prédomine. La vraie question va être celle de l'utilité de Facebook.

Facebook, une boîte à parler, pas à être entendu
Un attrait majeur de  Facebook est de pouvoir multiplier rapidement le cercle des personnes à qui l'on parle. Bref, d'être reconnu pour ce qu'on dit.
Or, plus vous parlez à un nombre croissant de personnes, plus celle-ci vous parlent ainsi qu'à tous leurs amis. Il en résulte une véritable cacophonie sur les « murs », où une info publiée chasse l'autre en permanence. Suivre tous les échanges de son réseau demande un temps conséquent... qui peut pousser à l'abandon pur et simple. De nombreux jeunes ne regrettent même pas de ne pas pouvoir lire toutes les expressions de leurs amis : seul le nombre de ceux-ci importe, à celui qui en aura le plus. Chacun s'exprime ensuite dans son coin, devant un parterre qui parle en même temps.

Marc Cervennansky, responsable de la communication en ligne de la Communauté d'agglomération de St Quentin en Yvelines, a ainsi remarqué que « de nombreux jeunes s'inscrivent comme amis de la collectivité uniquement pour faire du chiffre, atteindre le plus rapidement le quota des 5000 amis maximum, mais sans intérêt pour leurs publications». Les collectivités pensaient avoir trouvé un canal miraculeux pour s'adresser aux jeunes, alors qu'elles peinaient à communiquer avec eux par des supports plus classiques tels que les journaux, tracts ou sites internet classiques. Le postulat mérite d'être interrogé, avec des études sur la qualité de cette relation nouée peut-être un peu artificiellement avec les jeunes. Les messages de la collectivité (ou de leurs amis d'ailleurs) sont bien envoyés mais sont-ils effectivement lus ?

Facebook, destructeur d'efficacité
Facebook donne de très bons résultats pour retrouver des contacts perdus de vue, pour avoir des nouvelles de ceux qui sont éloignés. Mais si vous n'alimentez pas souvent votre mur, le contact retrouvé s'étiole rapidement... Alors souvent l'internaute tombe dans le message pour le message, faisant passer la qualité et la pertinence du contenu en second plan. Facebook se transforme en un véritable moteur à futilités (charge aux collectivités, soit dit en passant, d'y réinjecter du sens et du contenu).

A la lecture d'une froide analyse de leurs pratiques et du calcul « utilité / temps passé »,  les plus accros devraient lever le pied. Sauf que ce temps, très fractionné, est difficile à comptabiliser et qu'une véritable dépendance s'est installée, très bien décrite par Frédéric Filloux, dans son article « Facebook tisse sa toile » dans Le Monde Magazine du 9 octobre 2010. Il cite l'essayiste américain Nicholas Carr, auteur de The Shallows et Tariq Krim, créateur de Netvibes. Pour le premier : « Les réseaux sociaux provoquent de la dispersion. Ils sont conçus précisément pour nous interrompre en nous abreuvant d'un flux constant de messages que, dans un certain sens, nous trouvons intéressants. Par conséquent, ils créent un besoin compulsif de vérifier constamment ce qui s'y passe, même si c'est sans intérêt, dans un détournement constant de notre attention visuelle et mentale... ». Tariq Krim confirme plus prosaïquement : «  On reçoit des sollicitations constamment, on est inondé. Ca finit par vous vider. L'élite mondiale souffre aujourd'hui d'un syndrome de déficit d'attention chronique. Il faudra faire migrer tout cela vers un environnement plus simple, plus zen. » Facebook crée du vide et du stress par l'excitation permanente. Donc non seulement l'apport d'informations utiles est limité, mais en plus il affaiblit notre capacité de concentration et de production.

Certes, la responsabilité en incombe sans doute moins à Facebook et ses concepteurs qu'aux utilisateurs, qui devraient, pour donner à l'outil tout son intérêt, faire le tri dans leurs amis-contributeurs, dans leur pratique et dans le temps qu'ils veulent bien lui consacrer pour en garder la maîtrise. Le risque existe cependant bien que des utilisateurs désenchantés ne jettent l'outil avec l'utilisation.

La chute de Facebook est donc irrémédiable. Mais quand ? Et surtout comment ? C'est le Facebook d'aujourd'hui qui va disparaître, victime de la mode qui passe, de la montée de nouveaux outils plus adaptés et d'un recentrage des utilisateurs sur leurs attentes véritables. Rien ne dit cependant que Facebook ne pourra pas évoluer et s'adapter. S'il n'y a plus de dinosaures aujourd'hui, les lézards, serpents et autres oiseaux se portent bien. Une espèce qui mute et s'adapte à un environnement devenu moins favorable, ça s'est déjà vu...