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Pourquoi l'harmonie est mauvaise pour le groupe…

Écrit par Yann-Yves Biffe.

 

Une formation politique a, par nature, vocation à conquérir le pouvoir et, dans une logique de conservation, à réduire son opposition à l'inexistence.

C'est paradoxalement une vision à courte vue qui concourt à sa propre perte. De fait, une opposition, une vraie, est une véritable chance pour focaliser et cimenter toute organisation, qu'elle soit politique, professionnelle ou sportive.

Ca donne à encourager une franche opposition

J'ai pu constater dans une commune que je connais bien le cas suivant : la liste de gauche avait oublié de s'inscrire pour le second tour de municipales il y a bien des années de cela (prescription donc). Privée de son adversaire régulier, la droite majoritaire s'est escrimée pendant 6 ans sur la droite minoritaire, générant des inimitiés tenaces qui auront entraîné sa fragmentation aux élections municipales suivantes.

Ce qui pouvait ressembler à une chance extraordinaire s'est en fait transformé en piège à long terme.

Privée d'adversaire idéologique, la majorité a laissé se développer des bisbilles internes et ambitions personnelles, qu'aucune menace crédible ne venait tuer dans l'oeuf.

Il m'est apparu cette année, en suivant une équipe sportive, que la logique était transposable à toute organisation.

Cette équipe avait, en début de saison, des atouts considérables : des individualités performantes, des ressources physiques, un jeu collectif construit. Et de fait, elle a dominé avec beaucoup de facilité tous ses adversaires. Avec trop de facilité. Progressivement, le résultat du match ne faisait plus de doute avant son commencement. Les rencontres n'avaient plus d'intérêt pour les supporters, qui ont mécaniquement cessé leurs encouragements. Les joueuses elles-mêmes étaient insatisfaites de victoires trop aisées et en venaient à développer des stratégies personnelles pour montrer qui était la meilleure. Elles se laissaient entraîner dans des querelles secondaires sur des points personnels et extra-sportifs.

La performance n'était plus un moteur suffisant pour générer de la cohésion. Il manquait un ingrédient majeur.

De fait, Thierry Debanne, agrégé d’EPS à la division STAPS de l’Université Paris XI Orsay, entraîneur dans des équipes de handball de niveau national, a publié une étude intitulée « la dynamique d'une équipe » qui met cette situation en évidence.

« Deux premières conditions sont impératives pour que s'effectue le passage du collectif au groupe proprement dit. Condition n°1 : l'existence d'un danger ou d'un obstacle. Ceux-ci entraîne une communauté d'action des individus préalablement rassemblés. Il s'ensuit une "solidarité mécanique" commandée extérieurement par les événements. »

L'adversité mobilise. Mais il ne suffit pas d'avoir un adversaire. Il faut un adversaire de taille, qui vous pousse dans vos retranchement, qui oblige votre équipe à faire corps. Elle doit percevoir qu'elle est en danger face à la menace.

Sinon, les considérations domestiques et les travers individuels prennent le dessus au détriment de la cohésion d'équipe.

Céline Giovannoni, de l'Université de Corse, cite dans son cours de licence 1 de STAPS de « Psychologie des groupes » S. Worchelin pour qui « il existe 4 périodes dans la vie d’un groupe :

1. L'identification (identité sociale du groupe, normes et valeurs). 1 ère étape de « connaissance des membres du groupe », identités de chacun, règles de fonctionnement.

2. La productivité : examen des buts, centre d’intérêts possible du groupe, production et analyse des ressources de chacun (tactiques et stratégies). « stade de vie » du groupe.

3. L'individuation : conflits, absence, apparition des sous-groupes. Caractérisation personnelles (morcellement). Stade la paresse sociale. Négociation nécessaire des normes et valeurs, reconnaissance individuelle.

4. Le déclin : vulnérabilité du groupe (départs), reconstruction des normes et valeurs.

La dynamique (et donc la cohésion) vise à maintenir les groupes au 2 ème stade, « stade de vie » du groupe. » Cette cohésion est la plupart du temps générée en réaction à l'extérieur du groupe, à ce qui est différent… ou trop semblable !

Entrer dans la lutte fait oublier tout le reste. Et ça vaut à toutes les échelles ! Quand la CGT ne sait plus attaquer le gouvernement parce que de gauche, ses militants en viennent à critiquer son délégué général pour ses travaux de réaménagements de bureau et logement. Une bonne lutte de classe contre la loi Travail, et tout ça, c'est oublié !

Une opposition permet de rassembler les dissensions internes, les luttes d'egos. Faut-il pour autant mettre en place des artifices divers pour valoriser, voire créer artificiellement l'opposition ?

Ca donne à rechercher plutôt un objectif commun

En fait, ce n'est pas tant l'opposition qui fédère votre équipe que le projet de prendre le dessus sur l'opposition !

Si on peut substituer à la menace une opportunité suffisamment importante, celle-ci doit pouvoir remplir le même rôle que l'opposition : fédérer les membres du groupe dans un mouvement qui les entraîne y compris malgré eux.

C'est la condition n°2 de constitution du groupe selon Thierry Debannes : « l'intériorisation de l'objectif commun engendre une "solidarité organique", car ainsi, les individus se mettent en état d'assumer les actes faits collectivement. Ils définissent pour l'avenir une solution commune. »

Pour Céline Giovannoni, « c'est la présence d'un objectif commun ayant une valence positive (intérêt spontané) qui constitue le seul moyen de constituer des groupes d'actions. » « La dynamique dépend surtout de l'existence d'un projet d'intérêt collectif (Monteil, 1989).

Elle dépend aussi de la taille du groupe (…) Les psychologues pensent que le format 25/30 est producteur d'angoisse (menace pour l'identité personnelle). » Euh, c'est quoi la taille de votre groupe majoritaire ?...

Parallèlement au stimulus déclencheur, soulignons également le rôle du leader.

C'est le maire de la majorité municipale, le coach ou le capitaine de l'équipe sportive. S'il fait l'unanimité, qu'il sait imposer ses idées et surtout la direction dans laquelle il veut emmener le groupe, s'il sait prendre les mesures pour faire régner l'ordre dans ses troupes, alors la qualité de l'adversité prend moins d'importance, le groupe est plus fort pour faire face aux aléas extérieurs.

Ainsi, pour Céline Giovannoni toujours, dans le domaine sportif, pour maintenir la cohésion au sein de son groupe, deux facteurs sont primordiaux. Le rôle des entraîneurs et… la communication efficace, évidemment.

Comme pour tout, il ne sert à rien d'avoir des objectifs mobilisateurs si le manager ne sait pas les partager…

A moins que le groupe ait un adversaire à sa mesure, qui facilite singulièrement le travail du leader, bien sûr !

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