Communication publique, communication numérique, internet et réseaux sociaux, nouvelles technologies, management, marketing territorial, fonction publique, collectivités locales…

Imprimer

Des gens et des arbres : le syndrome Idefix

Écrit par Yann-Yves Biffe.

Le simple fait d'abattre un arbre, qu'il soit chétif, isolé, malade voire dangereux, est systématiquement accompagné de cris d'habitants scandalisés. C'est ce que j'appellerai le syndrome Idefix. Replongez-vous dans vos albums d'Astérix. A chaque fois qu'un végétal est déraciné, le petit chien blanc se met à pleureur, brisant le coeur d'Obelix qui, gavé de potion magique (bio) ratatine du Romain à tour de bras pour lui redonner le sourire. Est-ce que cet accès de violence désole encore plus le pur Idefix ? Non, ça le réjouit. Et de fait, ceux qu'on entend s'élever contre la coupe d'un arbre sont beaucoup moins actifs pour dénoncer les atteintes à la personne humaine.

L'ouvrage de référence sur lequel je m'appuierai dans cette chronique s'appelle Astérix le Gaulois, somme de plusieurs tomes réalisée par Albert Uderzo et René Goscinny. Oui, oui, vous avez bien lu.

Je creuserai plus particulièrement la figure du petit chien Idefix. En effet, celui-ci synthétise une posture sociétale largement partagée en France aujourd'hui. Celle-ci n'est pas sans impact sur le travail des aménageurs d'espaces publics, de responsables et agents des services espaces verts et des chargés de communication appelés au secours. Car il n'est plus possible aujourd'hui de couper un arbre sans mettre d'abord au point un plan pointu et massif pour dédramatiser l'événement… tout en sachant que ce plan ne suffira pas. Car défendre la coupe d'un arbre est suspect : même si les raisons avancées sont légitimes, elles cachent sûrement de vraies raisons beaucoup moins louables, voire ont été inventées pour justifier l'opération. Et la rareté de la chlorophylle ne change rien à l'affaire, c'est le cas aussi bien dans les communes urbaines que dans les petites communes rurales. Des personnes lambda apparemment bien intentionnées et drapées du politiquement correct se font les porte-paroles des arbres qui ne peuvent pas parler. Mais, s'ils le pouvaient, peut-être certains demanderaient-ils à mourir dans la dignité ?

Ca donne à voir dans l'arbre la faiblesse de l'homme

Est-ce rationnel ?

Non, de l'avis des professionnels, la fin d'un arbre participe au cycle de la vie et permet naturellement à d'autres d'émerger. En milieu urbain, il est souvent nécessaire d'abattre des arbres malades, pourris, dangereux même pour la sécurité des humains. Ils sont la plupart du temps remplacés par des spécimen plus sains et appelés à un grand avenir.

D'ailleurs le fait de craindre la disparition des forêts dans notre pays reste une peur : la surface des forêts françaises a doublé depuis 1850. Pourtant, 71% des Français étaient persuadés que l’hexagone disposait de moins de forêts qu’en 1800 lors d'un sondage Sofres en 2000.

Alors pourquoi cet attachement obstiné aux arbres ?

Ses défenseurs vont donneront d'abord des raisons utilitaires et vitales : l'arbre est le poumon de la planète qui nous porte, il recycle le CO2 en oxygène. Bref, il purifie notre air et en plus, il nous donne bonne conscience, effaçant notre empreinte malheureuse et nos dépendances au confort consumériste, comme un petit trajet en voiture par-ci par -là quand on aurait bien pu le faire à pied.

Ensuite, s'il permet physiquement la vie, il la rend également plus agréable pour l'esthétique et l'agrément qu'il apporte à notre quotidien, considérant les variations de couleurs, du vert à l'orangé, et les hommages collatéraux apportés par le ballet vivant et harmonieux de ses hôtes, oiseaux en tête.

Dans le sondage « Les Français et l’innovation » réalisé par Viavoice pour Vinci et les Echos en novembre 2013, 26 % des Français interrogés inscrivent, parmi leurs attentes d'innovations dans les villes, « Plus de verdure : arbres dans les rues, maisons fleuries, terrasses fleuries, gazon... ». 17 % répondent que, dans le domaine de l'environnement, les innovations qui pourraient être imaginées porteraient sur « des solutions pour conserver et aménager les espaces verts ».

Ca ne suffit pas à expliquer l'attachement viscéral aux arbres, surtout quand on promet d'en replanter un voire deux pour un mis à terre. Il faut sans doute alors chercher plus loin, dans l'inconscient collectif, dans la symbolique.

L'arbre est représentatif du temps qui passe, et montre l'impuissance de l'homme face à lui. Quoi qu'il fasse, le progrès technique ne peut pas faire pousser un arbre plus vite en tirant sur ses branches. Un arbre abattu en quelques minutes mettra de longues années à atteindre le même stade de développement. Ca incite à réfléchir sérieusement avant d'allumer la tronçonneuse. Et pourtant, cet argument aussi est de plus en plus battu en brèche à mesure que les jardiniers de nos villes plantent des arbres déjà arrivés à maturité.

Effectuant la (photo)synthèse de ces deux arguments, l'arbre est simultanément symbole de vie et de longévité. Planté par un homme, il peut espérer lui survivre pendant plusieurs générations. Couper cet arbre, c'est mettre fin à l'oeuvre d'un homme, ce qui revient symboliquement à le tuer une deuxième fois.

Chacun, consciemment ou pas, intègre ces éléments et se projette dans l'homme qui a planté l'arbre, s'en sent l'héritier et en endosse la charge. Ce faisant, il s'identifie également à l'arbre. Couper les pieds à cet arbre de vie, plus solide qu'un homme, c'est montrer que rien n'est garanti pour l'avenir, c'est faire grandir l'incertitude du lendemain et fragiliser le présent. Sauver un arbre, c'est aussi lancer un appel à ne pas mourir.

Finalement, c'est moins une manifestation pour le bien de tous qu'une préoccupation partagée mais personnelle. Sinon, pourquoi couper un arbre serait-il aussi décrié que... d'en planter ?

 

Ca donne à penser que c'est aussi dur de planter que de couper

Même si vous voulez bien faire et réparer le traumatisme créé par la coupe d'un arbre, n'allez pas faire appel à Panoramix, le druide. Dans le Domaine des dieux, pour calmer Idefix (et surtout embêter les Romains), celui-ci a mis au point des glands donnant instantanément, dès qu'on les a plantés, naissance à un chêne adulte. La solution idéale ? Non. Je m'explique et dans l'intervalle, de grâce, rangez vos glands magiques !

Bizarrement, si couper un arbre demande beaucoup de diplomatie, en planter un génère quasiment autant de critiques, en particulier des riverains : l'arbre va boucher la vue (sur la mer, le paysage, la route…), boucher les gouttières à l'automne à cause de la chute des feuilles, gêner le passage, gondoler le trottoir, bref entraîner tous types de nuisances.

Pour imposer la plantation d'un arbre, il faut alors qu'un intérêt supérieur l'emporte. La sécurité routière en fait-elle partie ?

Encore faudrait-il trancher si l'arbre est bon ou mauvais pour l'homme… au volant. Selon une étude menée par des chercheurs suédois, il est apparu que « les automobilistes roulent à une vitesse 5% inférieure quand ils sont en présence d’arbres. » Dans le même ordre d'idée, le Norfolk a commencé à planter ses arbres en entonnoir à l'approche des villages, ce qui donne une impression de rétrécissement de la route là où l'automobiliste doit ralentir. Ca marche et ça use moins les amortisseurs que les gendarmes couchés.

Cependant l'idée va à l'encontre de ceux qui considèrent, nombre de motards en tête, que les arbres, c'est surtout dangereux, a fortiori quand on leur rentre dedans. D'où la solution de les supprimer et de ne surtout pas en replanter au nom du principe de la vie de l'homme, qui vaudrait plus que la vie de l'arbre.

Mais les arbres immobiles sont-ils responsables de la vitesse de ceux qui vont trop vite ? L'arbre généalogique d'Idefix peut encore pousser avant que la question ne soit tranchée !

 

Illustration : Amélie Mahaut.