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Elections, piège à com !

Écrit par Yann-Yves Biffe.

A l'occasion des élections municipales des 23 et 30 mars, 193 villes de plus de 9 000 habitants ont changé de bord politique, selon le décompte établi par francetv info. Il y a quelques années, lors d'une élection perdue, le coupable était tout désigné. C'était la communication. Et aujourd'hui ? Que nous apprennent les dernières élections sur la communication territoriale ? Certainement, la réglementation pré-électorale et la judiciarisation des scrutins en ont limité l'impact. Mais surtout, il apparaît à la lumière de cet événement que la communication publique a muté vers un rôle de service public. Ne constitue-t-elle plus qu'un enjeu comme les autres ?

Evidemment, les résultats des dernières élections municipales sont la somme d'une multitude de facteurs, des enjeux micro-locaux à la déception engendrée par le gouvernement national en passant par le contexte économique international dégradé. Pour autant, il est impossible pour les communicants territoriaux de ne pas se sentir interpellés. En effet, au-delà d'un mouvement de balancier classique de gauche à droite, on a pu remarquer une aspiration à un changement du personnel politique, les challengers d'un même bord prenant plus souvent qu'à l'accoutumée le dessus sur les officiels installés. Les sortants sortis. Forcément, la communication est sur le banc des accusés. Ne disait-on pas dans le métier, il y a une dizaine d'années, qu'on jugeait de la qualité de la communication de la collectivité à l'aune des résultats des élections ? C'était sans doute une autre époque et aujourd'hui, la question ne se pose plus (seulement) en ces termes. Car des municipalités sortantes ont été battues ou mises en difficulté aussi dans des villes où la communication publique était considérée par la profession et/ou la population comme bonne, voire exemplaire.

6 ans de bonne communication ne garantiraient donc plus la réélection.

Pourquoi ? Qu'est-ce qui a changé ? Que nous apprennent ces élections sur la communication territoriale ?

Ca donne à penser que la réglementation pré-électorale a inversé le rapport de force

Pendant des années, le maire a allégrement pris appui sur la communication de sa ville pour faire connaître son bilan personnel. Puis, progressivement, la loi s'est durcie pour limiter le bénéfice apporté ainsi au candidat en place. C'est la fameuse législation pré-électorale, bien connue des communicants publics, qui impose de fortes contraintes à l'exercice de la profession pendant un an de mandat. Alors certes, elle ne porte que sur un an. Mais 1/6 de temps de paralysie, c'est énorme d'autant que cette année-là, c'est la plus importante !

Cette législation illustrée d'une jurisprudence de plus en plus fournie, conjuguée avec la prudence bienvenue des services juridiques qui ont convaincu les cabinets, ont inversé le rapport de force et affaibli la communication territoriale dans sa dimension politique.

D'un côté, la municipalité sortante se trouve dans l'impossibilité d'aborder les thèmes qui seront développés pendant la campagne dans le journal municipal. De l'autre, le groupe des élus d'opposition, dans les mêmes pages, peut dire à peu près tout ce qu'il veut, voire carrément appeler à voter pour son candidat !

En effet, si une tribune appelant les électeurs à voter pour un candidat à des élections locales pouvait être considérée comme une propagande en faveur de ce candidat et être par conséquent prohibée par les dispositions du Code électoral (CE, 3 juillet 2009, Mme Aminata B., n°322430), l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 mai 2012 (req. N°353536) a ouvert grand la porte. En l'espèce, une élue Front national de la ville de Saint-Cloud avait fait paraître dans le numéro de février 2011 de «Saint-Cloud Magazine» une tribune ayant pour titre «Cantonales 2011: le front national sera présent». L'auteur y abordait la portée des élections et annonçait sa candidature.

En quoi cela a-t-il un impact sur la communication territoriale et sur les élections ? Sous la pression juridique et morale de la perspective d'un troisième tour électoral qui se jouerait devant les tribunaux, la communication municipale devient pale, réduite aux seuls sujets passe-partout pendant les douze mois précédant l'élection. Qu'il apparaisse un sujet d'importance, il ne pourra être traité, au risque de voir les coûts des outils de communication ré-imputés dans le compte de campagne du maire-candidat. Si celui-ci ne veut pas assumer ce risque, alors les habitants électeurs sont fondés à penser que le maire est éloigné des vrais sujets, qu'il ne s'intéresse pas à ce qui leur tient vraiment à cœur, qu'il ne se projette pas dans l'avenir de la commune.

Certes, il pourra ensuite en dire tout ce qu'il en veut dans ses documents de campagne. Mais ceux-ci sont surtout développés dans les 3 derniers mois, et depuis le début des 12 mois de la période pré-électorale, les électeurs ont eu largement le temps de se faire une (mauvaise) opinion de leur édile, de le trouver bien long à la détente et à la traîne par rapport à ses challengers pour peu qu'il ne les ait pas convaincus avant.

Cependant, au-delà de cet affaiblissement temporaire, c'est la nature même de la communication territoriale qui a évolué et l'a éloignée de la promotion du politique.

 

Ca donne à entériner l'accès de la com au statut de service public

Nous, communicants publics, l'avons clamé et réclamé sur tous les tons. Cap'Com s'en est fait une bannière et nous l'avons placé en tête du manifeste du 28 mars 2008 : « La communication publique est un service public. Placée au service de l'intérêt général, elle est une dimension essentielle de l'action publique. »

Les élections municipales 2014 ont consacré ce principe : la communication publique est un service public à part entière.

Les plus récents dans la carrière diront que c'est une évidence. Pourtant, dans les années 1990, la communication était une branche du cabinet sur laquelle étaient perchés d'anciens journalistes et visait à valoriser la personne du maire. Aujourd'hui, la communication est majoritairement exercée par des statutaires titulaires et met en avant des actions, des dispositifs, des services, des événements.

Les administrés identifient et apprécient d'ailleurs la communication territoriale pour cela : « c’est justement de leur vie pratique dont ils veulent qu’on leur parle. Dans les faits, ils se disent bien informés sur des sujets pratiques relevant de la vie quotidienne, comme la vie culturelle et les loisirs (71%), la vie associative (61%), l’éducation et les activités extrascolaires (59%), etc. Les sujets politiques n’arrivent qu’en milieu / fin de « classement » : la vie politique locale (51%), la répartition des rôles entre les collectivités territoriales (37%). » (Baromètre Epiceum - Harris Interactive de la Communication Locale 2013).

Cela répond à leurs attentes et ils font confiance à cette communication : « Les Français déclarent rechercher une information qui leur parle… Parallèlement, ils ont tendance à particulièrement apprécier celle émise par les échelons territoriaux les plus proches. Ainsi la mairie est, de loin, l’émetteur qui donnerait la meilleure information (63%), celle la plus crédible (66%), la plus utile (70%), ainsi que celle qui concerne le plus directement les répondants (69%). »

En répondant aux préoccupations des administrés, la communication territoriale semble s'éloigner de l'approche politique. Toujours selon le baromètre de la communication : « L’information des collectivités aurait comme principal impact la modification des habitudes dans la vie quotidienne (66%). De plus, elle donnerait une image positive du territoire pour 65% des interrogés. Cet impact reste néanmoins mesuré en ce qui concerne la vie politique : moins d’une moitié des Français (46%) indique que la communication des collectivités les aide à comprendre les décisions politiques locales. »

A fortiori, en même temps que le service public de la communication devient l'expression de la ville, elle est de moins en moins celle du maire. Et ceux qui considèrent que traiter des actions se reporte automatiquement sur la personne du maire et que les électeurs font directement le lien pour en attribuer le bénéfice aux élus sont démentis : « 45 % des Français disent que l'information locale émise par les collectivités donne une image positive des élus, et seulement 40 % qu'elle leur donne le sentiment que les élus sont proches d'eux. »

Alors logiquement, si la communication est déconnectée des élus, son bénéfice sur les élections est de plus en plus limité. Les électeurs considèrent que les mêmes prestations (voire des meilleures), seront assurées par un nouveau maire. Ils pensent aussi pareillement que ce nouveau maire fera la même communication éventuellement avec les mêmes auteurs que ceux employés par son prédécesseur (non, en fait ça c'est une pure hypothèse de raisonnement, l'habitant se fout de savoir qui écrivait le journal municipal et qui l'écrira).

On voit donc à la lumière croisée des études préalables et des dernières élections municipales que la communication territoriale, si elle correspond aux attentes des citoyens, ne répond plus forcément à celles des élus, ou tout du moins à la principale : la réélection.

La communication, et le dircom avec elle, n'est ainsi plus « la voix de son maître ». Est-ce un bien ou un mal ? Chacun aura son avis. Mais cela peut expliquer pourquoi, dans des collectivités de plus en plus nombreuses, même de taille moyenne, se développe une cohabitation entre un service communication institutionnelle rattaché au DG et une cellule com politique intégrée au cabinet.