Les robots dans la force de l'âge
Forcément, on se demande toujours, à Noël, comment fait ce vieillard portant le même nom pour distribuer autant de cadeau en une seule nuit. Il se fait aider, c'est sûr. Il a beau être vieux, il a un temps d'avance et... sûrement plein de robots autour de lui ! Et c'est ce qui vous arrivera aussi certainement demain, que vous le vouliez ou non ! Et si, contre toute attente, la porte d'entrée des robots dans nos société, c'était les personnes âgées ?
Ca donne à anticiper l'introduction des robots auxiliaires à domicile
La série à succès Real Humans sur Arte, le robot Nao développé par la société française Aldebaran Robotics qui a les honneurs de Capital sur M6, on sent que le sujet gagne le grand public. Si le fantasme ne date pas d'hier, il prend maintenant corps au sens propre et la combinaison des progrès technologiques, qui s'incarne dans le web sémantique et le web des objets, ouvre des perspectives concrètes sur le développement de l'intelligence artificielle.
Selon la très intéressante étude « La dynamique d'internet. Prospective 2030 » réalisée en 2013 pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, cette recherche pour l'heure appliquée devrait trouver, dans les 25 ans à venir, un débouché dans notre quotidien à travers les ACA.
Les ACA, quezako ? Il s'agit des agents conversationnels autonomes, pour différencier du robot déjà bien présent dans l'industrie : « le modèle actuel est l’agent serviable. L’une des tendances est de se rapprocher d’une figure anthropomorphique, avec l’idée de mimer une relation sociale. (...) L’agent ou robot va pouvoir devenir plus autonome et aura peut-être la capacité d’établir des relations socio-affectives avec des humains. »
Aujourd'hui, ce sont les enfants qui rêvent le plus des robots et ils sont en bonne place dans les publicités d'avant liste de Noël. Demain, ils répondront aux souhaits des arrières grands-parents. Ou plutôt des enfants de ceux-là, les jeunes seniors.
Car si l'allongement de la vie est une chance célébrée comme telle individuellement, le vieillissement de la population est une menace majeure pour les sociétés occidentales. D'une part, le modèle familial intergénérationnel a bel et bien vécu : les grands-parents épaulant l'éducation des petits-enfant, la génération intermédiaire assumant les besoins matériels (limités) de l'ensemble. Dorénavant, chacun habite chez soi et les enfants devenus grands n'ont pas envie de sacrifier au déclin physique de leurs aînés, quelle que soit la force des liens affectifs. D'ailleurs, le poids de la dépendance physique ou mentale de la génération la plus âgée pèse de plus en plus, mécaniquement, sur la génération suivante qui est-elle même retraitée et potentiellement soumise à des difficultés physiques.
D'où le réel intérêt d'un auxiliaire de vie mécanique, qui va pouvoir relever une personne âgée tombée sans risque d'aggraver sa propre scoliose. D'où l'intérêt de cette aide qui va rappeler quand prendre les médicaments, qui répondra éventuellement pour la 10è fois à la même question de la même façon, sans s'énerver.
Si comme anticipé, le robot parvient à intégrer des aspects émotionnels, il pourra même se substituer à l'animal de compagnie, lui-même souvent substitut à une présence humaine permanente.
Ca donne à penser que la greffe ne va pas prendre
Mais alors justement, pourquoi pas une personne humaine plutôt ? Question pertinente quand on prend connaissance de l'étude du cabinet de conseil Roland Berger récemment relayée par le Journal du Dimanche. Selon celle-ci, « avec 20% de tâches automatisées d’ici 2025, les robots mettraient sur le tapis plus de trois millions d’emplois dans l’Hexagone ».
Alors à quoi bon aller dans cette voie ? Pour créer plus de bien-être pour ceux qui vivent le mieux et dégrader la situation des plus précaires (plus simplement résumé par « enrichir les riches et appauvrir les pauvres ») ? Plus prosaïquement parce que les finances publiques sont dans l'impasse, cela n'aura échappé à personne. Et les dépenses sociales, celles qui ont fait basculer les Conseils généraux dans le rouge, ne peuvent continuer à se creuser sans fin, alors que structurellement, les besoins vont s'accroître face au vieillissement.
Par ailleurs, le travail auprès des personnes âgées est un travail usant, aussi bien mentalement, que physiquement, et les personnes qui remplissent ces missions se trouvent souvent dès 50 ans dans l'incapacité de poursuivre leur métier, aggravant malgré elles le coût global de l'aide sociale.
Les finances publiques auraient donc intérêt à développer la médiation robotisée auprès des personnes âgées dépendantes, même si l'investissement de départ sera conséquent.
Mais est-ce que les familles sont prêtes ? Vont-elles y retrouver une bonne conscience à bas prix ?
Pas franchement. Les Français n'ont pas confiance dans les robots pour réaliser des tâches sensibles auprès de leurs êtres aimés. Guillaume Champeau rapporte que 95 % des Français interrogés se disent "mal à l'aise" à l'idée qu'un robot puisse veiller sur un enfant ou une personne âgée, soit 9 points de plus que la moyenne européenne. Idem pour promener le chien (75 % de personnes mal à l'aise, contre 69 % en moyenne). Dans cette étude commandée en 2012 par la Commission Européenne à TNS Sofres auprès de 26.751 Européens, il ressort que les Français figurent parmi les plus en recul lorsqu'ils sont interrogés sur leur rapport aux robots. 67 % des Français interrogés disent avoir une image positive des robots, ce qui les place seulement en 20ème position, loin derrière l'opinion positive exprimée par les habitants nordiques de Suède (88 %), Danemark (88 %), Pays-Bas (87 %), ou Finlande (85 %).
Et les intéressés ? Peuvent-ils y trouver leur intérêt ?
Même s'ils ne se posent pas la question en termes philosophiques, le fait de n'exister majoritairement qu'aux yeux d'un robot est dégradant pour la propre conscience de soi. En effet, l'homme n'est homme que parce qu'il est reconnu comme tel par un alter ego. Etre reconnu par une machine nous rangera-t-il dans la catégorie des machines ?
Inversement, notons que la difficulté de la fin de vie est de se voir vieillir et d'ouvrir sa proche déchéance à la vue d'autrui. Finalement, être accompagné dans son déclin par un robot est peut-être de ce côté-là, une façon de rendre l'aide d'un tiers et plus globalement ce temps de vie un peu plus acceptable.
En conclusion, rapprocher vieillissement et robots n'est pas antinomique. Cela ouvre d'ailleurs des champs d'interrogation, en particulier d'ordre éthique, sur le rapport à l'autre, à la machine, sur la conscience et la dépendance, que vous pouvez partager ici.
Exprimez-vous, avant qu'un robot ne le fasse à votre place !