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Internet, réseau de voyeurs

Écrit par Yann-Yves Biffe.

Le web 2.0 ouvre la parole, permet l’échange horizontal, donne corps à l’idéal du dialogue citoyen. Enfin, techniquement. Pas seulement parce que vos élus seraient frileux à libérer la parole. Non, juste parce que l’homme est sociologiquement calibré pour que seulement 10% des internautes prennent la parole en ligne. C’est la loi de la « participation inégale en ligne ». Et Facebook, ce forum permanent, ne l’a pas remise en cause.


Ca donne à relativiser la faible participation en ligne

Les internautes veulent parler, ils veulent qu’on leur donne la parole. Quoi de plus normal dans cet internet qui prône la discussion paritaire, le renversement des rapports du vertical à l’horizontal. La technique est au point, rien de plus simple aujourd’hui que de s’exprimer en ligne et Facebook n’est finalement que le paroxysme de cette fenêtre ouverte en permanence à la discussion. Nos collectivités y sont d’autant plus sensibles qu’on peut y voir une réponse à l’aspiration globale à la démocratie participative. Cette perception se retrouve d’ailleurs dans les chiffres. Par exemple, dans le sondage réalisé par Harris Interactive en avril dernier pour le Conseil général des Ardennes, 73% des internautes du département souhaiteraient que le site du Conseil général leur permette de commenter les articles publiés. Ce n’est pas un cas isolé, les administrés de toutes les collectivités exprimeraient peu ou prou la même envie où qu’ils soient. Pourtant, les collectivités qui ont réussi à convaincre, avec ce type de chiffres, leurs élus de libérer la parole (éventuellement avec quelques garde-fous), ont souvent eu la désagréable surprise de voir que… très peu participent.

On pourra objecter que les sites internet ne sont pas les lieux propices à la discussion, qu’ils sont ceux de l’information, du centre de ressources, de l’outil pratique. Pourquoi pas. Mais sur Facebook, interface sociale destinée à échanger par nature, le constat est le même : dépasser les 5% de « personnes qui en parlent » est une belle performance, y compris sur les pages de marques privées.

Finalement, cet article n’aura qu’un but avant de vous voir partir en vacances : vous rassurer, vous rendre plus zen. Non, vos administrés ne sont pas plus réservés que les autres, et surtout vos projets moins intéressants que les autres.

Estelle Dumont, formatrice à Rue 89, qui intervenait à la Journée de la presse territoriale organisée par Cap’Com ce jeudi 28 juin, aura rassuré ceux qui pouvaient culpabiliser. Cette faible participation est largement partagée, public, privé confondus. Elle a même été théorisée dans une loi dite règle du 1 pour cent, également appelée loi de 1 % ou principe 90-9-1 ou participation inégale en ligne, « concept sociologique similaire introduit par Will Hill dans les laboratoires AT&T et ensuite repris par Jakob Nielsen » selon wikipedia.
Sur Internet, moins de 1 % de la population contribue de façon proactive, 9 % participe occasionnellement de façon opportuniste et 90 % des observateurs ne contribuent jamais.

Ca donne à raisonnablement viser le 0,5% sur Facebook

Le plus étonnant, c’est que Facebook réponde à cette règle, alors qu’il est fait pour l’expression de tous. Mais le comportement humain est plus fort que la technologie. Au-delà du nombre de fans, leur participation importe de plus en plus aux marques, et pas seulement parce que cela relaie le message de la marque sur les murs. C’est aussi que l’activité rend la page plus attractive et implique plus les internautes jusque dans le passage à l’acte (d’achat, cf chronique du 21 juin). C’est pourquoi le taux d’engagement est calculé à partir de la donnée mise en évidence par Facebook des « personnes qui en parlent ». Il mesure l’interaction (les « J’aime » et les commentaires sur les statuts), rapportée au nombre de fans de la page.
Alors quel taux d’engagement faut-il raisonnablement viser sur une page ? Isabelle Mathieu, consultante social media et auteure d’un blog, conseille « un taux d’interaction de 0,5% comme un premier objectif à atteindre. Je considère qu’un taux d’interaction supérieur à 1% est excellent."

Ce taux varie statistiquement en fonction du nombre de fans de la page : plus il y a de fans, moins le taux d’engagement est élevé, les fans actifs se diluant dans la masse.

« L’une des dernières études à mettre en évidence cette corrélation est celle de Socialbakers. Les résultats présentés sont basés sur l’analyse du taux d’engagement moyen obtenu sur les statuts de plus de 9 000 pages Facebook. Selon cette étude, le taux d’engagement moyen d’une Page Fan dont le nombre de fans est compris par exemple entre 0 et 10 000 est de 0,96%. Et comme le montrent les chiffres du tableau ci-dessous, il diminue au fur et à mesure que la communauté s’agrandit. »


Ca donne à penser à tous, pas seulement aux actifs

En conclusion, au-delà du constat égoïstement rassurant d’une interaction faible sur nos pages internet et Facebook, on peut tirer au moins trois enseignements de cette loi.

1 – Si peu d’internautes interagissent, ça ne doit pas vous encourager à ne rien faire pour qu’ils participent. Si vous n’animez pas votre communauté, le taux d’engagement sera plus proche de 0 que de 1% !

2 - Si peu d’internautes participent, beaucoup regardent et se forgent un point de vue, à partir des articles et des commentaires. Donc non, vous n’écrivez pas seulement pour 1% de vos internautes, mais pour les 100%.

3 – On cite souvent comme intérêt du web participatif et de Facebook en particulier le fait que cela permet d’avoir un retour, un feedback sur les perceptions des clients ou administrés. Certes, mais c’est plus une sensation qu’une mesure. Il ne faut surtout pas penser que la prise de position de ce 1% ou même du 10% occasionnel soit représentative de l’ensemble.
Pour autant, comme c’est la minorité bruyante, il faut quand même en tenir compte, car c’est elle aussi qui va mobiliser les médias, faire pression sur vos élus, faire avancer les causes… éventuellement relayer vos messages !

On peut enfin extrapoler à partir de cette loi un questionnement moins directement au cœur de nos pratiques, mais inscrit dans nos préoccupations, je pense ici à la participation électorale.

La participation physique aux élections étant souvent trop faible, notamment pour les cantonales et régionales, certains avancent le vote par internet comme une solution, qui trouve un écho positif d’intention dans les sondages.

Au vu de cet article et de la loi du 1%, et même si le but est certes différent, cette piste peut-elle finalement donner de meilleurs résultats que l’engagement physique ?