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La communication publique, valeur d'exemple pour le marketing ?

Écrit par Yann-Yves Biffe.

Sans avoir été interrogée sur le sujet, Mercedes Erra, grande prêtresse de la communication d'entreprise et de la publicité, a appelé de ses vœux, dans les Enjeux les Échos, au renouvellement du marketing, montrant sans le savoir que son avenir s'incarne dès aujourd'hui... dans les services communication des collectivités locales !

Une fois n'est pas coutume, au lieu de partir d'une étude ou d'un chiffre, mon propos s'appuie cette fois sur Mercedes Erra. A vrai dire, son intervention au forum Cap'Com en décembre m'avait un peu déçu (c'était peut-être lié à la dissipation de mes condisciples ceci dit). Si ce n'est une phrase qui disait quelque chose comme : «  les gens sont sur-sollicités, ils n'ont pas beaucoup de temps. Alors s'ils vous consacrent un peu de ce temps, vous devez leur apporter quelque chose en plus, leur faire un cadeau ». Ça n'avait l'air de rien, mais, à la vérité, quand on exerce notre travail avec cette phrase à l'esprit, ça peut changer pas mal de choses. Arrêter de remplir de l'espace, de le faire d'abord pour faire plaisir à son patron, faire sienne la difficulté à saisir l'attention des administrés, ne pas copier le voisin pour éviter la lassitude, faire court et ne pas essayer de placer 15 idées à la fois, varier la forme, être utile, pertinent voire impertinent…

Alors, quand j'ai feuilleté les Enjeux les Echos du mois de février, je me suis arrêté sur le portrait de Mercedes Erra par Marc Weitzmann. Deux passages m'ont tout particulièrement donné matière à réflexion sur des thèmes qui nous touchent :

 Ça donne à s'interroger sur la réalité de la communication :

 « Les idées sont plus importantes que la réalité. (…) Ce qui pousse les gens, c'est le regard qu'ils portent sur les choses ».

Voilà une affirmation qui m'aurait fait bondir il y a quelques temps. Car pris à la lettre, c'est un motif absolu de décrédibilisation de la communication. Si nous ne disons pas ce qui est, alors pourquoi les administrés devraient-ils croire ce que nous disons ? De prime abord, c'est la « Com » dans tout ce qu'elle a de dénigré aujourd'hui ! Notre conscience, notre déontologie nous permettent-elles de porter attention à cette affirmation de Mercedes Erra ? Si notre travail est de dire ce qui est fait, de rendre compte, et il l'est, alors nous devons nous en tenir à la réalité des faits, même si nous les plaçons évidemment sous leur meilleur jour.

Mais pour un certain nombre d'entre nous, il convient de voir plus loin, il revient aussi de changer les mentalités, sur tel ou tel sujet, de comportement civique, de promotion d'un territoire. Parce que les conditions sont difficiles, le contexte dégradé, la stricte réalité ne permet pas toujours de préparer des lendemains meilleurs. Il faut alors projeter une réalité embellie. L'anticiper. La ré-enchanter. Pour mieux la faire devenir réalité dans un futur le plus proche possible. Pour faire coïncider les idées, et la réalité, à terme. Mais pour cela, il faut agir sur les esprits. Car seul une prise de conscience collective peut faire changer la réalité, si les administrés ont intégré le fait qu'on était en train d'aller vers cette situation améliorée, s'ils ont perçu que son avènement avait commencé. La communication doit donc donner des signaux en ce sens pour déclencher le changement. Finalement, c'est peut-être un peu philosophique, mais la réalité n'existe pas. Il n'y a que des perceptions. « Je pense donc je suis » disait Descartes avant Erra. Donc si une chose est pensée, alors elle est. Facile à dire. Il faut quand même réussir à convaincre le monde qu'elle est, ou qu'elle va être. Tâche immense mais qui mérite de prendre un peu d'avance sur les perceptions, pour peu que ça soit un minimum réaliste, cependant…

Ca donne à réfléchir sur le management public et la pertinence de l'action publique :

 « Les gens travaillent mieux s'ils travaillent pour une idée plutôt que pour un produit inanimé dont ils n'ont rien à faire ».

Dans l'article, Mercedes Erra ne rattache pas cette idée à l'action publique. Et pourtant, ça lui va comme un gant ! On peut railler les fonctionnaires, mais je ne connais aucun chargé de communication qui exerce ce beau métier dans nos collectivités pour la sécurité de l'emploi. Bon nombre par contre sont entrés dans la carrière parce qu'ils voulaient donner du sens à leur action, et justement ne pas se limiter à vendre un produit. Je ne connais personne ayant quitté la communication publique parce que cette quête de sens avait été déçue. C'est un levier fort pour bien recruter. C'est surtout un levier inestimable pour manager. On ne peut pas motiver nos collaborateurs par les revenus, ou peu. Après tout, tant mieux. Voilà une bien pauvre motivation (même si tout à fait pertinente et nécessaire à un certain degré) qui ne vous fera pas décoller une équipe de la base de la pyramide de Maslow. Nous, managers publics, avons la responsabilité d'entretenir la flamme, l'envie de réalisation professionnelle et personnelle de nos collaborateurs, et pour cela, il est important de donner un sens à l'engagement. Convenons qu'il est plus facile à dégager dans nos collectivités que dans une entreprise autour d'un « produit inanimé » !

Et ce sens de l'action, dont sont porteuses nos collectivités, est une valeur d'avenir. Toujours selon Mercedes Erra : « Jusqu'à la crise, les classes moyennes vivaient la consommation : des gens qui n'avaient rien privilégiaient le fait d'acquérir et d'acheter. Consommation et progrès allaient de pair. Cette époque est révolue. Il faut donc substituer l'accumulation par autre chose. Par la qualité et le sens. On va se demander par exemple si tel produit est vraiment utile et correspond à un besoin réel. Où on va privilégier telle marque parce qu'elle fait de beaux produits et traite bien ou mieux que d'autres ceux qui travaillent pour elle. Avoir de vrais engagements, les tenir et en faire l'histoire est l'avenir du marketing ». Bref, si je prolonge la volonté d'Erra (peut-être un peu malgré elle, soit), les collectivités locales sont le fer de lance du nouveau marketing, du marketing intelligent, de celui qui fait passer de l'âge de l'avoir à celui de l'être ! Car les collectivités sont justement contraintes aujourd'hui à se repencher sur leurs actions et à faire le tri. Plus que par une RGPP aveugle, la double contrainte de la raréfaction des ressources, du crédit, et de la pression des administrés quant à leur bon emploi les oblige à se concentrer sur les actions utiles, voire nécessaires. L'étape est douloureuse, en particulier pour nous, mais nous allons en sortir avec un temps d'avance sur le marketing commercial. Tout en conservant des valeurs, des engagements, parce qu'ils sont premiers pour nous et inhérents à nos structures et à leurs histoires. A nous donc de les mettre en valeur, de les faire émerger et ainsi de répondre aux attentes des néo-consommateurs responsables !

Alors quand votre élu vous aura répondu à ce discours : « C'est bien beau tout ça mais elle sort quand ma plaquette ? », répondez-lui « Que sera s'Erra ! »