Autant de porte-paroles que d’agents ?
Imaginez que chaque agent intervienne, tout le temps, sur tous les sujets, au nom de votre collectivité, sur les forums et réseaux sociaux. Rêve ou cauchemar ? C’est l’ambition qu’IBM développe à l’échelle mondiale. La démarche est-elle transposable dans la sphère publique ? Pour cela, plus qu’une remise en cause de la communication externe, c’est un titanesque travail de communication interne qu’il faut mener parallèlement à un changement de culture.
Ca donne à démultiplier l’influence sur la toile !
Delphine Rémy-Boutang présentait en janvier dernier une conférence auprès des Anciens du DESS marketing de Sciences Po Paris où elle témoignait de son expérience de Social Media Marketing Manager chez IBM.
La philosophie historique d’IBM, c’est que chaque agent parle pour la marque. La société a pris le pari de l’appliquer à l’aune des réseaux sociaux et même de la décupler. Les agents du centre d’appel en Irlande ont été invités à passer de 8 h à 4 au téléphone pour en consacrer autant au net. Mais cette tâche n’est pas dévolue à de seuls agents missionnés, même si certains sont pilotes. Ainsi, tous les agents sont incités, pendant leurs heures de travail, à aller s’insérer sur la toile, à participer aux discussions en ligne. L’exercice est cadré par un ensemble de règles co-produites par des groupes de travail. Le dernier des commandements étant : « N’oublie pas pour autant que tu as ton travail du jour à faire ». (Voir la présentation).
Résultat : la surface de notoriété d’IBM est démultipliée. Plus que cela, la marque acquiert une image d’expertise car les salariés sont encouragés à prendre la parole au maximum sur des forums spécialisés où ils peuvent donner des conseils.
Le bénéfice est évident à l’heure où les budgets pour de l’achat média sont de plus en plus restreints. IBM se fait connaître de clients potentiels, en tout cas de personnes sensibles à la problématique informatique.
La logique ne s’arrête pas aux spécialistes, mais à tout le personnel. IBM a ainsi donné une journée à ses agents américains, charge à eux de la consacrer à la cause humanitaire ou sociale de leur choix. Une seule contrainte : obligation d’en parler sur les réseaux sociaux. Ils l’ont fait et bien fait.
Ca donne des sueurs froides aux DirComs !
Le DirCom voit tout de suite les limites de l’exercice : la crainte que tout le monde prenne la parole sans que lui le sache et tienne des propos discordants par rapport à la stratégie de communication de l’organisation. IBM a restreint ce risque : toutes les occurrences liées aux prises de paroles d’agents IBM sont répertoriées et analysées par un centre de mesure (ou de contrôle, appelez-le comme vous voulez) et un certain nombre d’agents sont évalués sur la quantité et la qualité de leur prise de parole sur internet. Par ailleurs, chaque agent sachant qu’il est surveillé, et que les protections sociales sont plus légères chez l’Oncle Sam, on peut penser qu’une certaine auto-censure doit s’instaurer assez naturellement.
On mesure la différence culturelle avec la France, où un agent aura certainement moins de retenue (notamment dans une logique syndicale) pour critiquer son entreprise.
Ce n’est d’ailleurs plus une différence, mais un gouffre qu’il y a avec les collectivités, surtout celles qui ont hérité de l’Etat une culture de la prise de parole centralisée. Moins il y a de personnes à parler, moins il y a de risques de donner des informations discordantes, voire gênantes. Il faut n’en briefer une. Mais les retombées sont aussi plus limitées…
Alors comment tendre vers cette libération de la parole sur internet ?
Cette préoccupation de communication externe est en fait une problématique de communication interne. Pour ouvrir la parole à chacun, et faire de tout agent un étendard de l’organisation, il faut générer une culture d’entreprise forte, une appartenance qui soit une évidence et qui génère automatiquement des prises de paroles en phase avec les valeurs de l’organisation.
Si les fondements du service publics sont souvent intensément ressentis par les agents des collectivités, la diversité des métiers et surtout la sensibilité du fait politique rendent cette ambition particulièrement difficile à y appliquer.