Pas de créativité sans acceptation du risque
Comment encourager la créativité chez les agents ? En développant une culture de la tolérance… à l’inverse de laquelle nos collectivités se sont historiquement structurées. Aujourd’hui, pour muter en ce sens, il importe que les managers deviennent moins des gardiens du juridique que des soutiens à la prise de risque, prêts à accepter l’échec.
La commande se fait progressivement plus précise et d’autant moins atteignable pour nos collectivités : il faut concilier moins de moyens et toujours plus d’attentes, en quantité et en qualité ! Comment les collectivités peuvent-elles faire la jonction ? La créativité pourrait être le chaînon manquant.
Les entretiens territoriaux de Strasbourg organisés par l’INET les 6 et 7 décembre 2017 ont mis en avant cet état d’esprit que devraient développer les managers et de leurs équipes, appelées à proposer des solutions innovantes, comprenez plus efficaces et moins chères.
Pour ce faire, de multiples techniques existent. Cela passe par de la formation en particulier, et le CNFPT notamment a réorienté ses moyens et ses méthodes pour encourager une pédagogie plus participative. Des cabinets proposent également in situ des séminaires de développement de la créativité. Des collectivités rivalisent d’initiatives pour donner à voir les pratiques innovantes, à commencer par celles menées en interne et en diffuser l’esprit, autour du design de service public et de la co-construction.
Sauf que la créativité, cela ne se décrète pas. Il faut qu’il y ait bien en amont de la génération d’une idée originale un environnement propice à cela. Dans ce domaine, les collectivités locales sont assez loin des start-ups.
La créativité passe en premier lieu par un mode de réflexion différent. Albert Einstein disait « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Pour obtenir des résultats nouveaux, ils faut réfléchir à une nouvelle façon de faire : dans les objectifs visés, dans les moyens appliqués…
Or, la fonction publique a plutôt tendance à vouloir donner à ses agents un cadre général, qui, dans certains cas, s’apparente à un moule. Celui-ci (le statut, le concours…) donne une homogénéité de réflexion, mais cela peut nuire au développement de modes de pensée alternatifs. Il faut donc se forcer à changer de point de vue, à écouter les témoignages des interlocuteurs venant ou travaillant dans des entreprises, à interroger le collègue nouveau venu avant qu’il ne soit pollué par les habitudes. On peut également chercher à penser comme l’usager, en le caractérisant ainsi que ses besoins, voire lui donner la parole sans pour autant en faire le décideur ultime.
La créativité passe également par la prise d’initiatives à tous les étages. Or, la fonction publique territoriale, avec une structure très pyramidale et hiérarchisée, a longtemps encouragé l’inverse, à savoir une séparation des fonctions d’exécution et de décision, et une application aveugle par les 1ers de la demande exprimée par les 2ds.
Là encore, il ne suffit pas d’énoncer le changement. Même si les agents osent émettre une pensée originale, s’ils proposent de la mettre en œuvre, il faut que l’encadrement l’accepte et la soutienne.
Ca donne à encourager la prise de risque pour les managers
On peut faire toutes les formations, toutes les injonctions auprès des agents, l’encadrement a une responsabilité primordiale.
Il faut en effet qu’il diffuse la culture de l’acceptation du risque. Et cela ne va pas de soi.
Quand ils doivent se définir, les directeurs généraux se présentent souvent, avant de parler de managers, comme des juristes. Ce qui sous-entend que leur formation les a conditionnés en priorité à supprimer les risques juridiques liés aux actions et projets menés sous leur direction.
Or, si le DG fait passer cette mission avant les autres, il y a de fortes chances que l’innovation soit tuée dans l’oeuf. Car par définition, l’innovation n’est pas vraiment cadrée, elle n’est pas encore dans les esprits et peut-être un peu limite par rapport aux règlements.
Pas question de faire n’importe quoi pour autant, et de s’affranchir des marchés publics par exemple. Mais il faut accepter que ce soit étudié spécifiquement.
En effet, si une équipe qui propose une solution nouvelle se fait rabrouer sur la base du risque qu’elle fait prendre à la collectivité, alors elle fera ensuite passer la sécurité juridique en premier. Or, la sécurité n’est jamais mieux assurée que lorsque la situation est un statu quo, la stabilité dans des conditions déjà validées et éprouvées. De fait, la culture du parapluie est contagieuse. Si l’agent n se couvre, le n-1 fera de même en rajoutant de la sécurité et ainsi de suite pour aboutir à un énorme parasol. On ne pourra pas blâmer les agents : ils auront sécurisé au maximum la collectivité. Mais ils seront peut-être passés à côté d’une solution alternative, moins chère et plus efficace… mais peut-être porteuse d’incertitudes.
La créativité passe donc par une acceptation du risque. Mais de quel risque ? Le plus important est le risque juridique. Faut-il l’oublier complètement ? Non, les cadres sont les gardiens du respect des règles et de la bonne marche et bonne image en la matière de la collectivité.
Pour autant, entre la loi et les précautions prises en amont de cette loi (« pour ne pas prendre de risque, il vaut mieux… », également appelé « ceinture et bretelles »), on en rajoute parfois quelques couches épaisses. Il vaudrait mieux parfois se conformer à la loi tout en ayant à l’esprit et en assumant que des interprétations puissent soulever des interrogations… si cela reste dans le cadre réglementaire et peut apporter des résultats.
De même, on remet parfois en cause des procédures intéressantes parce qu’un tiers pourrait trouver matière à la discuter… tout en sachant que le risque d’occurrence est infime. Un risque à prendre alors ? A chaque cadre concerné de trancher… en fonction de sa sensibilité au risque.
Parallèlement, il y a un autre risque à prendre en compte : le risque d’échouer.
Ca donne à accepter la possibilité de l’échec
Pas de risque pénal ou de procédure là-dedans. Tout simplement, mais c’est important, la possibilité que l’action envisagée n’atteigne pas les objectifs fixés.
En effet, si un agent essaie de développer puis mettre en œuvre une action innovante et que son idée échoue, il ne faut pas que cela lui soit reproché. Sinon, il sera naturellement encouragé… à ne rien tenter, histoire de ne pas se faire rabrouer à nouveau.
Pour Laure Descours, responsable marketing de 1Life (éditeur et intégrateur de solutions de gestion), citée par Entreprendre.fr, l’échec fait partie de la réussite. « Laisser la place à l’échec d’un projet ou l’erreur d’un collaborateur peut vous servir de tremplin pour la prochaine étape. En se trompant, le collaborateur abandonne une idée, fait avancer sa réflexion, et se concentre sur d’autres idées, parmi lesquelles, peut-être… l’innovation que vous attendiez ! »
Vous me direz : « Pourquoi ne pas se contenter d’une action éprouvée, testée ailleurs, qui pourrait être mise en place sans risque d’échouer ? Quand on s’engage dans une action, c’est pour qu’elle réussisse, pas pour qu’elle rate ! »
Evidemment ! Mais peut-être que cette action, qui marche partout, atteint un objectif minimal mais pas tous ceux que vous avez pour votre collectivité ? Si « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », à miser peu, on ne gagne pas grand-chose. Si on tente des choses difficiles, le bénéfice attendu est souvent bien supérieur… mais il est corrélé à un risque d’échec lui aussi plus élevé, forcément. Et pour viser haut, il faut parfois s’y prendre à plusieurs fois !
Managers ouverts à la créativité et donc au risque, ne tirez pas un trait sur un échec pour faire comme s’il n’avait pas existé. Il faut au contraire en tirer le maximum d’enseignements pour savoir comment corriger le tir et faire de celui-là les bases de la réussite prochaine !