A quel avenir numérique étions nous promis dans le passé ?
Second Life allait bouleverser l'usage d'internet, le web 2.0 allait révolutionner le partage des données sur le web, facebook était prometteur, les vidéos allaient être de plus en plus courtes, le téléphone portable allait peut-être servir à autre chose qu'à téléphoner… petit bilan des prédictions heureuses ou un peu moins sur l'avenir d'internet… 9 ans plus tard !
Cette chronique vise, en règle générale, à analyser ensemble les tendances émergentes, les faits marquants de notre époque pour imaginer s'ils sont appelés à prendre une place de plus en plus importante. L'exercice est incertain : il est difficile de prédire l'avenir, même en croisant plusieurs signaux convergents. Il est d'autant plus amusant de se retourner, quelques années plus tard, sur des prospective faites dans le passé.
Ainsi, j'ai remis la main il y a quelques temps sur un exemplaire hors-série du magazine Courrier International d'octobre 2007 intitulé « Révolution 2.0, comment le Net va encore changer la vie ».
Avec près d'une décennie de recul, on peut tirer quelques enseignements de ces articles qui cherchaient à prédire l'avenir du monde dans le marc du net.
Ca donne à voir l'évolution programmée du net
La première chose qui frappe, c'est que finalement, le web a moins changé lors des 10 dernières années qu'au cours des 10 précédentes. Globalement, on a plus connu une concrétisation des potentialités d'internet qu'une véritable révolution.
Tout à l'époque était 2.0. Ca faisait moderne. Aujourd'hui, le vocable est passé de mode, mais son contenu est effectivement partout… et totalement intégré. Selon Stephen Levy et Brad Stone à l'époque « Il y a 10 ans (20 aujourd'hui), nous étions nombreux à considérer le fait de se connecter comme une sorte d'aventure dans un royaume lointain appelé le cyberespace. Désormais, MySpace, Flickr et les autres ne sont pas des endroits où aller, mais des choses à faire, un moyen de s'exprimer, de rencontrer d'autres personnes. Le cyberespace était un endroit lointain. La Toile, c'est chez nous ».
Internet est devenu une composante basique et incontournable de notre vie quotidienne. Appelée en 2007 la « Toile vivante » pour marquer l'usage de l'intelligence collective, internet est totalement intégré, et dans tous les secteurs.
Dans cet ordre d'idée, Courrier International annonçait « les intermédiaires menacés de disparition ». Bien vu. Ca valait à l'époque pour l'industrie du disque : « le public et les artistes n'ont plus besoin des intermédiaires. Ces derniers ont perdu leur raison d'être et ils cherchent à se maintenir par la force. Ca ne marchera pas. Il ne pourront pas attaquer en justice tout le monde en permanence » prévoyait Eben Moglan, professeur à la faculté de Columbia. L'industrie du disque a bien été obligée de se réinventer, mais c'est l'ensemble de l'économie qui a été bouleversée depuis par l'uberisation des modes de mise en relation des consommateurs et des modes de consommation.
Autre tendance bien sentie, c'est le développement de Facebook. Le site de Mark Zuckerberg comptait alors plus de 40 millions de membres dans le monde, loin derrière « le géant MySpace qui reste le premier réseau social avec plus de 70 millions d'utilisateurs ». Pour autant, Newsweek avait compris que « le site de réseau social ouvert dans un premier temps aux étudiants (était) en train de conquérir le monde grâce à un mode de fonctionnement original ».
Cette expression « conquérir le monde » est une image. Pas pour Facebook. Il s'est développé depuis 2007, a dépassé MySpace et causé sa disparition, pour atteindre aujourd'hui 1,65 milliards d'utilisateurs actifs chaque mois dans le monde !
Remarquez que moi-même me suis-je un peu trompé en 2012 quand j'ai prédit le déclin de Facebook. J'avais heureusement pris la précaution de dire que Facebook pouvait également s'adapter et survivre. Force est de constater que le géant a su gérer ses crises de croissance et reste un acteur, certes moins monopolistique qu'il y a quelques années, mais fermement implanté. Il a su développer un modèle économique ne remettant pas en cause son mode de fonctionnement et il propose aux annonceurs une puissance publicitaire encore peu utilisée par rapport à ses énormes potentialités de ciblage.
Ca donne à penser qu'on manquait d'imagination en 2007
Courrier International a eu le nez creux dans de nombreux cas… mais est passé à côté d'autres évolutions qu'on a pas vu venir alors que…
Internet était déjà en 2007 une formidable source d'information alimentée par les apports gratuits de ses utilisateurs : « Internet a remplacé les annuaires téléphoniques et est en train de remplacer le téléphone. Il répond à nos questions en 4/10è de seconde et nous envoie des clips amusants. »
Ce qui apparaissait comme une finalité formidable n'était qu'une étape. On n'avait pas encore anticipé le big data. On n'avait pas encore rendu public le fait que la prodigieuse multiplication des capacités de calcul des ordinateurs, celle de stockage, le fait de rendre les objets communicants et la mise en relation permanente via la fibre ou les ondes radio allaient déboucher sur la production et l'intégration de milliards de données !
Oublié le web 2.0 : le 3 ou 4.0 est en marche, celui que nous n'aurons plus à nourrir car les objets le feront tout seuls.
Là où Courrier International s'est bien trompé, c'est sur Second Life. Tous les médias se sont trompés, tout le monde s'est trompé, en portant aux nues cet univers virtuel parallèle. « Selon le cabinet d'études Gartner Research, d'ici 2011, 4 utilisateurs d'internet sur 5 seront inscrits à Second Life ou à d'autres univers parallèles du même genre (…) MySpace, Facebook et les autres ont déjà créé des communautés en ligne, mais le fort potentiel d'interaction qu'apporte la 3D leur manque. »
Perdu ! En fait, en cet automne 2007, Second Life commence à décliner et quitte les médias aussi brusquement qu'il s'y était fait une place, « à la fois à cause de la crise des subprimes – affectant aussi les banques de Second Life – mais également à cause du fait que la plupart des investisseurs et clients ayant déserté un espace virtuel (offre en ligne) considéré comme trop complexe et redondant » (Wikipedia). Le moteur d'internet est la facilité offerte de faire les choses. Second Life, en amenant de la complexité pour réaliser des opérations, a perdu du terrain face au développement des applications directes en tous genres.
Pour autant et pour information, Second Life survit toujours, monde parallèle aujourd'hui fréquenté par les aventuriers des mondes perdus...
Finalement, plus que la nature d'internet et ses contenus, c'est son mode de consommation qui a changé sans avoir été véritablement anticipé. L'élément majeur de notre époque et des années à venir, c'est le multi-device, en français la cohabitation au cours de la journée des supports, avec l'émergence de la tablette et du smartphone. Le New York Times avait senti un frémissement : « Le phénomène des sites communautaires s'affranchit peu à peu des limitations de l'ordinateur. De puissants outils mobiles permettent aujourd'hui à tout un chacun d'envoyer 24 h sur 24, des informations concernant son humeur du moment ou sa nouvelle coupe de cheveux. Ces nouveaux services en ligne, baptisés Twitter, Radar ou encore Jaiku, espèrent que les usagers utiliseront leur téléphone portable pour partager les détails de leur vie ». « Le mariage entre le portable et le Toile est la clé de voûte des nouvelles technologies mises en œuvre par Kyte et ses concurrents ».
L'avènement du smartphone a validé leur prédiction au-delà de leurs espérances… mais sans eux, à l'exception du petit oiseau bleu « qui se targue (alors) de compter plusieurs centaines de milliers d'utilisateurs »… Depuis, il a fait son nid, il a porté son nombre d'utilisateurs à 320 millions dans le monde au dernier trimestre 2015.
Mais ce nombre d'utilisateurs stagne alors que les médias portent ce réseau aux nues… Alors, Twitter aura-t-il un avenir à la Second Life ou à la Facebook ?
A vous de voir dans l'avenir et… rendez-vous dans 9 ans ?