Horreur ! Les réseaux sociaux ont peur...
Facebook serait le réseau social du divertissement. Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour dire des choses comme ça ! Tremblez pourtant, car c'est aussi, selon le cabinet de veille Bolero, un média privilégié de la peur. Comment cet outil merveilleux qui unit les peuples autour de petits chats tellement mignons, peut-il susciter et propager inquiétudes et angoisses ? Comment les community managers peuvent-ils combattre la chaîne des stupeurs et tremblements ?
Ca donne à comprendre pourquoi les réseaux sociaux propagent les peurs
Les réseaux sociaux, et celui-là en particulier, font une large place à l'instantanéité et à l'émotion, bien avant la réflexion. Et Isabelle Musnik, directrice d'Influencia considère avec raison que l'émotion la plus présente dans nos sociétés, c'est certainement la peur. Elle relaie donc une étude menée par Bolero de janvier 2014 à mars 2015 autour du champ lexical de la peur, sur des commentaires d'articles, blogs, forums, plateformes de pétition, Twitter, Facebook.
Selon Caroline Faillet, directrice de Bolero, « la peur est une émotion ancestrale qui provoque un instinct de fuite accompagné d'une inhibition de la pensée, elle favorise l'irrationalité de l'individu. » Autant dire qu'avec les réseaux sur internet, elle trouve un terrain de jeu privilégié ! Comment fait-elle pour se développer, à la manière d'une étincelle qui se transforme (éventuellement) en incendie de forêt ? Comme pour tout feu qui se respecte, il y a au moins trois ingrédients qui s'entretiennent.
Le combustible des réseaux sociaux appelle la peur. Il s'agit de l'information.
Au-delà des sites d'information à proprement parler, les réseaux sont le relais privilégié de l'information, mais dans sa forme abrégée, percutante… tout comme le contenu : « On trouve en tête l’insécurité-délinquance, le terrorisme, Ebola, les angoisses professionnelles et la montée des extrêmes. Ce sont les plus visibles sur le Net par la masse d'individus qu'elles mobilisent. Elles sont généralement suscitées par des faits d'actualité dans la presse, principalement les grands médias comme Le Figaro et Le Monde, qui leur donnent un rayonnement immédiat. Les internautes utilisent les fonctions de partage (Facebook, Twitter, LinkedIn, Google+…) du média en question pour relayer l'information en moyenne 1815 fois par article anxiogène. »
Les médias traitent ces informations sous une forme qui favorisera leur impact et leur viralité, c'est-à-dire celle qui inquiétera le plus, qui fera se poser à l'internaute la question « vais-je être touché personnellement par cette menace ? Mes semblables vont-il en souffrir ? » Le titre est particulièrement anxiogène, l'identification joue à plein et les médias savent en jouer, tout particulièrement les chaînes d'info en continu qui dictent rythmes et usages en la matière, héritières de Capital ou Zone Interdite sur M6 qui ont inventé la voix off « et là, c'est le drame »...
« Ce ne sont pas les faits qui frappent l'imagination du public et génèrent ces peurs virales mais la manière dont ils sont présentés », commente Caroline Faillet. « Nous constatons qu'il y a parfois un écart entre le caractère anxiogène du titre de l'article et la sobriété du fond. (…) Or c'est le titre de l'article qui apparaît dans les réseaux sociaux ou sur Google Actualités, c'est donc lui qui doit disposer de cette puissance émotionnelle pour générer clic et partages »…. Et elle ajoute : « Sur Twitter, certains internautes attisent les peurs par des hashtags spécifiques qui créent l'amalgame entre des faits divers non liés entre eux et donnent un sentiment de montée des périls ».
De fait, l'accélérateur de combustion des réseaux sociaux attise la peur. Il s'agit de la réaction collective qui fait boule de neige et s'auto-alimente de sa viralité.
Et si ça prend tant d'ampleur, c'est que c'est vrai et ça prend encore plus d'ampleur… A ce titre, il est finalement assez amusant (en prenant pas mal de recul, certes) car paradoxal de retrouver la montée des extrêmes parmi les peurs les plus relayées, les plus dénoncées, ce qui donne encore plus de crédit aux extrêmes et fait encore monter la peur des extrémismes.
« Les peurs virales sont celles qui génèrent le plus de réactions dans la zone de commentaires des articles média pour critiquer le traitement médiatique ou la solution proposée (28%), dénoncer le risque pour les populations (18%), appeler au changement ou à la mobilisation (16%) et mener une réflexion sur les solutions (13%) »
Face à la peur, les internautes ne temporisent pas mais cliquent pour diffuser : « Le premier réflexe est de relayer l'information (30,8%) et de dénoncer le risque (17%). Ils ne sont que 5% à opérer une distanciation du danger par l'humour, ils sont plus nombreux (9%) à critiquer le traitement de l'information ou de la solution apportée sur le Net mais seuls 9% avancent des solutions. »
Le comburant des réseaux sociaux alimente la peur. Il s'agit de nos émotions, de nos réactions instantanées.
Les réseaux sociaux sont rarement dans une recherche de réflexion. De toutes façons, ça serait trop long ! Ils sollicitent le réflexe de protection. Du coup, ce sont les peurs irrationnelles qui sont le plus relayées :
« Nous avons été étonnés de constater que l’angoisse devant le chômage ne représentait que 1% des peurs, alors que celle de l’insécurité et de la délinquance pesait 20%, et celle du terrorisme 13% », souligne Caroline Faillet. Même le burn out (9%) fait plus peur que la perte d’emploi, suivi par Ebola (7%), l'Islam (5%) ou la montée des extrêmes (5%)… »
De fait, les phénomènes bien connus, proches, qui s'expliquent, complexes, pour lesquels il n'y a pas de coupable simpliste, font moins peur et sont moins relayés. Le chômage est une menace statistiquement très importante, mais il fait moins peur que le terrorisme qui menace physiquement la survie, et semble instrumentalisé par des forces difficiles à cerner.
Ca donne à rationaliser les peurs ou à les aiguiller dans la bonne direction
Les réseaux sociaux sont des vecteurs privilégiés de la peur. Comment les communicants publics, animateurs de grandes communautés identitaires, qui sont par nature inquiètes de l'intégrité de leur identité, de leur culture, de leur pérennité, peuvent-ils faire barrage à ces peurs ?
Les community managers auront bien évidemment comme premier réflexe de vérifier leurs informations et leurs sources et de ne pas diffuser la première rumeur venue, ce qui lui donnerait toute la crédibilité de l'institution publique (et affaiblirait du même coup la leur). C'est évident à froid et en théorie. Mais combien se sont fait avoir à relayer l'avis de recherche d'une jeune mineure qui n'a jamais disparu ou l'alerte dans un quartier où les chats disparaissent sans crier « miaou » ?
Le second réflexe est de chercher à expliquer les faits créateurs de peur. On a souvent peur de quelques chose parce qu'on ne le comprend pas. Il s'agit donc d'expliquer comment se forme tel phénomène, où il puise racine, comment il s'est développé. Il faut aussi faire connaître cet autre qui nous menace parce qu'il est là à côté tout en étant différent. La connaissance des altérités, des cultures minoritaires fait reculer la peur et les médias d'information municipale ou départementale ont certainement un rôle à jouer dans ce domaine car ils ont la légitimité pour le faire au nom du vivre ensemble.
Au-delà des faits, la façon de le dire a aussi son importance. Bannissons les jargons qui visent à valoriser leurs émetteurs et pensons à la façon dont le récepteur va comprendre le message. Mal interprété, notre message peut générer des incompréhensions, semer des doutes, faire naître des inquiétudes. Alors que dans la langue de tous les jours, notre annonce va peut-être faire des mécontents mais pas des angoissés. Les communicants publiques doivent tous être bilingues jargon administratif, technique et juridique / langue courante. Vulgariser, ce n'est pas mal parler, bien au contraire !
Ca donne à s'appuyer sur les peurs des internautes
Enfin, si vous ne consentez pas à combattre la peur, vous pouvez toujours l'utiliser. Attention, jouer avec la peur de l'autre sera immédiatement suspecté de tentative de manipulation. C'est donc politiquement incorrect. Cependant, n'oublions pas que la peur n'est pas complètement subie. Elle est même parfois recherchée. Faire monter la peur, c'est se mobiliser, faire monter l'adrénaline, se sentir vivant parce que menacé. Nier cet aspect de la peur, c'est oublier toute l'industrie de l'épouvante, des manèges et des sports à sensations fortes !
C'est aussi l'occasion, face à la menace, d'identifier celui qui pourra vous aider, vous protéger, vous câliner ! Alors, sans aller jusqu'à profiter du désarroi de vos internautes, vous pouvez combiner l'explication avec une saine direction et montrer en quoi votre collectivité est rassurante.
Certes, facebook est le lieu de l'amusement. Mais maintenant que vous savez que c'est aussi un repère de la peur, vous pouvez y montrer en quoi votre police municipale ou votre politique sanitaire ou culturelle contribuent à faire reculer les inquiétudes évidemment infondées !...
Soyez informés des nouvelles chroniques via twitter : @yyBiffe.