L'internaute ne lit pas. Est-ce que vous en êtes ?
Un internaute ne lit pas comme un papivore. Il goûte, mais rarement finit le plat. Est-il mal élevé pour autant ? Pas vraiment, car c'est la lecture à l'écran qui en a fait ce feignant en recherche d'efficacité. Et du coup, pour lui parler, mieux vaut écrire sur le web en allant droit au but !
Ca donne à écrire seulement le début des articles
C'est à désespérer d'écrire. Sur internet, l'utilisateur ne lit pas, il regarde. Il survole de ci de là, il butine sur la toile, il picore les articles. A quoi bon pousser la réflexion plus loin alors ? Pour Google peut-être. Lui au moins, il va regarder si mon texte est bien construit... même s'il va aussi surtout étudier le début de ma chronique.
En effet, Romain Hourtiguet dans l'excellent blog www.ecrirepourleweb.com reprend un intéressant article de Slate qui montre la perte en ligne qui touche les internautes.
Ainsi, Chartbeat, sur la base des sites gérés par cette agence d’analyse de trafic, montre qu'une part importante des visiteurs qui arrivent sur un article le quitte sans avoir rien fait d’autre qu’afficher la page. Ils regardent la page à l'écran puis s'en vont, sans même descendre.
On y voit aussi que la part du contenu d’une page consulté par la moyenne de ses visiteurs est de 60% (hors ceux du taux de rebond, non comptabilisés).
On en conclut que les internautes regardent le contenu d'accueil, puis descendent rapidement, en passant les premiers paragraphes, pour rechercher la fin de l'article. A partir de la moitié, ils ralentissent le rythme du scrolling pour chercher la conclusion, qui atteint un pic (100 % de l'article).
D'ailleurs, le graphique dépasse les 100%, au niveau des ressources et interactions sous l’article : commentaires, etc. Mais ces post-scriptum n'attirent pas les foules.
Le graphique suivant montre qu'un article n'est pas plus tweeté quand il est lu, au contraire ! Rebalancer en introduisant par un petit « Un article qui gagnera à être lu », ça n'engage à rien et ça permet d'alimenter sa propre production et de gagner en trafic et en visibilité... ( Attention, je dénonce, je n'encourage pas, pas de ça ici ! )
Romain Hourtiguet croise ensuite la lecture sur internet avec la capacité d'attention. Elle serait passée de 12 secondes en 2000 à 8 secondes en 2012 (quand elle est de 9 chez un poisson rouge) Ce qui se traduirait par le fait qu'un lecteur lirait de façon consciente 28 % seulement, soit moins d'un tiers, d'un article internet moyen. Alors en fait, non seulement presque personne ne lit tout, mais cela démontre que les quelques uns qui ont lu 600 mots n'en ont retenu que 168 ! Espérons que ces mots forment des suites suffisamment logiques pour avoir un sens...
Si on laisse nos ambitions littéraires de côté, la question qui surgit ensuite, c'est « est-ce que l'internaute lira tout si j'écris un petit texte ? » Peut-être pas, car si le texte devient trop petit, il paraîtra insignifiant au lecteur-scanneur. Donc, comme pour un concours administratif, il faut assurer un minimum de contenu pour assurer du sérieux de l'affaire en soignant intro, intertitres et transitions puis en remplissant entre tout ça.
D'où l'usage dans le paragraphe suivant de faux texte, en latin, qui va assurer à moindre frais un contenu de poids : Eo adducta re per Isauriam, rege Persarum bellis finitimis inligato repellenteque a conlimitiis suis ferocissimas gentes, quae mente quadam versabili hostiliter eum saepe incessunt et in nos arma moventem aliquotiens iuvant, Nohodares quidam nomine e numero optimatum, incursare Mesopotamiam quotiens copia dederit ordinatus, explorabat nostra sollicite, si repperisset usquam locum vi subita perrupturus.
Le lecteur a-t-il décroché pour autant ? Non, car :
- la majorité (en nombre, pas en qualité) est passée les pieds joints sur ce premier paragaphe ;
- l'internaute scanne son texte et comme il n'y avait pas de gras ou de retrait, il est encore passé plus allégrement sur ce paragraphe ;
- vous savez bien, en spécialistes de la mise en page que vous êtes, que le latin dans un texte contemporain est du faux texte, donc vous ne l'avez pas vraiment lu.
Ca donne à excuser l'internaute fainéant
Certes, l'internaute ne lit plus. Mais c'est parce que c'est trop compliqué ! Le confort visuel est moindre par rapport au papier et le cerveau le paie cash !
Le site de l'Education nationale (donc c'est sérieux) en juillet dernier reprend les enseignements de Science et Vie, n°1104 de septembre 2009, (donc c'est très sérieux) :
"Un texte imprimé sur papier est par définition stable, fixe. A l’inverse, un document électronique, dynamique, peut se déplacer à volonté sur l’écran. Or, une phase essentielle de la lecture consiste à mémoriser les coordonnées spatiales (la position) des mots importants dans le texte…"
En effet, "la lecture est un processus très gourmand en capacités cognitives. Elle mobilise successivement pour le seul décodage des mots plus de 6 zones cérébrales. Si le cerveau doit en plus solliciter des zones de reconnaissance de forme, de position, de vitesse ou de couleurs, il se retrouvera rapidement en surcharge. De fait, face à un contenu multimédia, la vitesse de lecture chute de 25%."
Thierry Baccino considère ainsi que « le stress déclenché par des hypertextes offrant un très grand nombre de pages à visiter fait perdre jusqu’à 30% de la force de travail. »
Il y aurait bien une façon de limiter cette déperdition d'énergie : il faudrait canaliser la lecture. Dorothée Fillet a mené une expérience "sur un module de cours en ligne, qui montre que la lecture d’hypertextes est facilitée si le sujet se voit contraint de lire d’abord le document de manière linéaire, conformément à l’enchaînement conceptuel voulu par l’auteur, avant d’être autorisé à fureter comme bon lui semble."
Mais allez faire suivre un itinéraire balisé à un internaute zappeur ! ...
Ca donne à écrire en pensant à l'internaute
Plutôt qu'espérer que l'internaute lise tout, mieux vaut finalement écrire de sorte à être sûr qu'il aura lu l'essentiel.
D'où l'importance :
- de mettre des mots clés dans le début du texte ;
- de bien structurer son propos avec des intertitres et de partir de l'essentiel vers le plus futile ;
- d'illustrer avec des images (qui auront leurs propres balises pour attirer les moteurs de recherche) ;
- d'insérer des liens
- de donner du relief avec du gras, des puces...
- d'écrire simplement et ne pas traîner en longueur.
Autant de principes de forme qui doivent permettre de placer le bon contenu dans le peu que va lire l'internaute.
Mais au-delà du contenu calibré, à plus long terme, la recette de l'attractivité ne figure-t-elle pas dans le contenu que doit livrer l'auteur, donc dans la qualité de l'écrit, dans son originalité, sa pertinence ?
Ou alors, finalement, tant qu'à n'écrire que des titres et des bouts d'articles, faut-il se limiter à Twitter ?
Non-illustration : Amélie Mahaut.