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On veut palper !

Écrit par Yann-Yves Biffe.

La rapidité à laquelle se développent les innovations digitales et celle à laquelle elles font muter notre société peuvent donner le vertige à une frange importante de la population qui se sent dépassée. Car, tant que nous ne serons pas des purs cerveaux, le besoin de physique, de rencontres en chair et en os, d'expériences, nous tiendra au corps. Cette réalité doit rester présente à l'esprit des communicants et managers territoriaux confrontés à l'avancée (utile) du digital dans la communication et dans la dématérialisation des process de travail.

 

Bien sûr, la montée de l'électorat du Front National lors des dernières élections municipales est liée en premier lieu aux difficultés économiques et sociales majeures que connaît actuellement notre pays. Mais cette poussée des extrêmes ne concrétise-t-elle pas également le malaise d'une population grandissante qui a perdu ses repères ? Elle se sent oubliée dans une société qui court vers son avenir sans trop savoir comment, toujours attachée à des valeurs authentiques mais qui prend des formes et utilise des codes qu'elle ne maîtrise plus, et surtout qui la font se sentir dépassée par la marche d'un monde qui tourne autour d'internet.

L'agence Publicis K1 a récemment publié une étude, relayée par Influencia le 25 mars, intitulée « de l'importance du physique dans un monde digital ». Si cette affirmation peut paraître paradoxale dans une société qui file à toute allure (peut-être trop vite) vers le tout -internet et le web des objets, l'opposition qu'elle contient explique peut-être en partie son malaise !

Ca donne à reconsidérer l'expérience physique comme humainement nécessaire

L'étude pose d'emblée que, « alors que nous passons de plus en plus de temps dans le monde digital, c'est le temps passé loin de notre écran que nous apprécions toujours plus, le temps passé avec de vraies personnes et de vraies choses. » (Frank Rose, JWT « Embracing analog : why physical is hot »). Et pourtant, tout est de plus en plus converti dans le flux numérique, tout se dématérialise : monnaie, produits culturels, factures...

Le digital progresse partout, alors que « nous restons plus proches des choses physiques ». Cette avancée serait liée à toutes les avancées, les progrès fonctionnels qu'il nous apporte. Mais cette avancée est limitée par le fait que « le physique, à travers son rapport au corps, est plus vivant. Loin du simple fétichisme, ce qui est réel reste incontournable car chargé en émotions ».

Ainsi la publicité du Renault Captur « Vivez l'instant » est centrée sur l'expérience et rappelle qu'avant de stocker nos souvenir sur des supports digitaux, il est nécessaire de les vivre !

Selon l'étude, trois raisons ancreraient dans l'homme la physique des choses.

Tout d'abord, le physique nous offre une forme de réassurance. « Ce que nous pouvons voir, sentir, toucher, tester, nous rassure. Tout ce qui est matériel, palpable, réel nous donne l'impression d'avoir plus de prise, de contrôle sur ce qui nous entoure. Ce que nous vivons nous paraît alors plus authentique. » Ainsi, 61 % des Français citent en faveur de l'achat en magasin le fait de voir en vrai le produit et 50 % celui de pouvoir le toucher et le sentir (Etude web to store Mappy/BVA/Novedia Group septembre 2013). Cyrille Frank cite dans Mediaculture.fr « le plaisir que l'on éprouve à contempler sa bibliothèque : « j'ai lu tout ça, je ne suis pas inculte quand même ». On n'aura pas le même ressenti devant une liste d'album en streaming ou d'e-books.

Ensuite, le physique semble nous apporter également plus de valeur. « Le digital nous permet d'accéder à tout sans effort mais, avec les mécaniques de partage et de buzz, nous sommes tous exposés à la même chose. De plus, une expérience digitale est plus simple à vivre qu'une expérience physique, qui demande engagement, effort et implication. Le caractère unique des expériences physiques apporte alors plus de valeur. »

Les souvenirs sont plus forts quand on est allé à un concert que quand on a téléchargé l'album du même groupe. De même, le volume de courrier papier distribué recule, mais la lettre n'en a que plus de force. La carte postale, manuscrite, pourra porter exactement le même texte qu'un mail, le simple fait d'avoir fait l'effort d'aller l'acheter, de s'être collé la corvée du timbre et de la boîte, apporte plus d'intérêt induit pour son destinataire qu'un courrier électronique. Depuis toujours, dans le cadeau, c'est l'intention qui compte !

Enfin, le physique nous procurerait plus de lien humain. « Si le digital nous permet d'assouvir notre besoin presque compulsif d'échanger, une certaine frustration naît parfois de la distance qu'il crée entre les gens. Nous sommes des créatures physiques et avons besoin de voir de nos yeux les personnes et les objets. Le physique nous apporte ce que le digital possède peu : une attache toujours plus forte, qui donne du sens à nos expériences. » Ainsi, 84% des sondés déclarent que Internet manque de chaleur humaine (ça pose question pour les 16 % restant!) selon un sondage sur le commerce physique réalisé par Ipsos en avril 2013. Selon l'institut de sondage, « les Français craignent de vivre dans un monde déshumanisé et désincarné (…) Ils cherchent à être de plus en plus accompagnés dans leurs actes d'achat, surtout lorsque le prix est conséquent et ils restent très attachés aux expériences de la vie réelle, plus intenses, plus surprenantes, plus... humaines. »

En effet dans ce lien humain, il y a tout ce qui ne passe pas par l'intellect, tout ce qui n'est pas réductible au raisonnement, tout ce qui fait que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Bref, des sentiments... et de l'animalité. Car la connexion physique, c'est aussi une question d'hormones, ce transmetteur très personnel qui fait que ce je ne sais quoi qui se lit dans les yeux de l'autre vous fait lever les poils ou monter le rouge aux joues... et vice-versa.

 

Ca donne à être conscient des limites de la dématérialisation

Ce constat ne manquera pas de nous interpeller dans nos collectivités locales et nos projets professionnels.

Il doit nous revenir en tête quand nous supprimons un outil de communication au profit d'une info sur internet, quand nous conseillons à un élu de supprimer une permanence pour aller au contact de son public sur les réseaux sociaux. S'il n'est plus possible de passer à côté de la présence digitale... il semble tout aussi important de garder un pied sur le terrain. Ceux qui ont cru pouvoir gagner les élections municipales en étant surreprésentés sur facebook ont sans doute déchanté face à ceux qui étaient aller pousser les portes et serrer les mains.

La nécessité du contact physique doit être conservée à l'esprit également des managers qui travaillent à dématérialiser les process de travail entre techniciens ou avec les élus. Pouvoir instruire un dossier efficacement et le faire valider d'un clic de souris par sa direction ou son élu de référence, c'est bien. C'est d'ailleurs quasiment une obligation posée par l'Etat pour les flux comptables de factures et bientôt pour les actes administratifs en direction des préfectures. Mais cela ne doit pas éteindre l'échange, le clin d'oeil, la construction réciproque et progressive avec toutes les nuances qui vont avec. Bref, ça ne doit pas faire disparaître la discussion, celle qu'on essaie de ressusciter quand elle est morte, à coups de dispositifs de communication interne qui peuvent apparaître alors un peu artificiels.

Un agent me disait ainsi, après la récente instauration de la saisie des congés via application informatique, « trouver ça bien mais regretter qu'on ne se parle plus comme on le faisait en tendant sa feuille de demandes de congés ». Mais dans le cas présent, personne n'empêche les deux protagonistes de se parler, surtout pas ce nouvel outil informatique. La saisie ne devrait-elle pas être précédée d'un petit échange du style : « Je peux prendre un congé telle date ? OK ? Alors je vais t'envoyer la demande dans l'application. » ? N'attendons pas tout de la machine. La dématérialisation ne doit pas empêcher les hommes et femmes de réfléchir.

Sinon, en serons-nous réduits un jour à introduire dans les applications de dématérialisation une mention qui apparaîtrait en clignotant, disant : « En avez-vous parlé à votre interlocuteur ? » , histoire de garder le réflexe de la discussion, et de ne pas ensuite accuser injustement l'informatique de sa mise à mal ?