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Pokemon Go : ils ont envahi nos villes ! Et alors...

Écrit par Yann-Yves Biffe.

 

Les Pokemons ont déboulé en ville… en chair et en os, ou presque ! Une armée de dresseurs s'est levée, inquiétant les uns, mais réjouissant également les autres, au premier rang desquels peuvent se trouver les collectivités pour peu qu'elles saisissent bien intérêt…

En cette rentrée de septembre, impossible de ne pas parler de cet événement incontournable qui a marqué la planète entière pendant l'été ! Comment ça, les Jeux Olympiques de Rio ? Mais non, le lancement, que dis-je l'explosion de Pokemon Go !

Vous avez peut-être plus de 35 ans et vous vous êtes dit, au coeur des vacances : un jeu vidéo de plus, et alors ? Un jeu, ce n'est pas sérieux ! Et alors non, c'est beaucoup plus que ça. C'est déjà le premier jeu à vraiment utiliser, dans le grand public, les potentialités de la réalité augmentée.

Rappelons le principe (en simplifiant) de Pokemon Go : Vous devez capturer des créatures aux noms emplis de poésie à mesure qu'ils apparaissent sur votre smartphone, via l'application adéquate. Là où c'est fort, c'est que ces personnages apparaissent dans votre environnement physique, dans votre ville.

Pour nous, vieux communicants, ça peut perturber : ce que nous avions jusqu'alors surtout l'habitude de voir apparaître n'importe où et n'importe quand sur notre smartphone-appareil photo, c'étaient des élus !

Le jeu a fait l'effet d'une bombe car il a remis en question l'équation : jeu video = je reste dans ma chambre toute la journée. Le joueur, qui s'appelle « dresseur », doit donc prospecter sur le terrain les créatures virtuelles, dont le type est adapté à son environnement (type eau près d'un lac ou de la mer par exemple. Ca devient un peu technique et vous décrochez là. Ok, j'arrête).

Une fois qu'il a attrapé son œuf de pokemon, au besoin en échangeant avec d'autres dresseurs (relations sociales quand même), le dresseur doit le faire éclore, et pour ça il doit marcher un certain nombre de kilomètres = exercice physique.

D'emblée, le jeu a fait un carton alors qu'il était lancé à une période totalement contre-indiquée par les cours de marketing et les dresseurs s'y jetaient à corps perdu, en particulier les Français qui se voyaient ouvrir le jeu tardivement en raison de l'attentat de Nice. Les médias, sevrés d'infos hors les événements tragiques, relayaient à fond.

Ca donne à mettre un peu d'ordre public

Mais rapidement, ce sont les petits dérapages qui prenaient le dessus. En effet, le principe du jeu visait à inviter le virtuel dans notre monde réel. Or, on a couramment assisté à l'inverse : des joueurs physiquement dans notre monde mais à l'attention transposée dans le virtuel ! Pokemon Go inventait le passage dans la 4è dimension : la séparation du corps et de l'esprit ! D'où des personnes pas vraiment en prise avec leur environnement avec les risques qui vont avec : dangers par rapport à la circulation, prise de risques inconsidérée pour s'introduire dans des lieux privés, religieux voire secret défense…

L'ossuaire de Duaumont a sollicité la non-présence de pokémons sur le site pour respecter le recueillement qui s'impose dans ce lieu de mémoire de la 1ère Guerre mondiale. La petite commune de Bressolles dans l'Ain a fait de même… sans réelle justification si ce n'est peut-être la recherche d'une contre-publicité ?. Les parcs de Nantes ont rappelé les interdictions de piétiner la pelouse en mode Pikachu et le CHU de Toulouse a également directement ciblé les joueurs impatients pour qu'ils ne deviennent pas des patients.

Dans un moment de l'Histoire où tout le monde tend à se méfier de tout le monde et de ce qui leur paraît « louche », cela donne des quiproquos comme une personne âgée appelant récemment en mairie pour signaler que des personnes avaient été vues de nuit prendre des photos d'une école… Habillez cela d'une touche de terreur du terrorisme dans un pays en état d'urgence, et vous comprenez vite que Pokemon GO, en modifiant la perception de l'espace par une frange de la population en prise avec une autre frange totalement étrangère au phénomène, cela peut créer de l'émoi.

Les community managers des services de l’État ont réagi prestement et avec humour et inventivité, démontrant qu'ils étaient bien en veille active et que leurs supérieurs hiérarchiques censeurs étaient, eux, en vacances.

Exemples en Vendée :

Service départemental d'incendie et de secours de la Vendée - SDIS 85 - 28 juillet

Un pokemon a été découvert dans l'enceinte d'un des centres de secours du Sdis de la Vendée... sur le monument aux morts !
DRESSEURS : MERCI DE NE PAS ENTRER DANS LES CASERNES POUR LES CAPTURES DE POKEMON, VOUS GENEZ L'ACTION DES SECOURS.
Le Service départemental d'incendie et de secours de la Vendée recommande à tous les chasseurs de pokemon de respecter les monuments aux morts et les propriétés privées (telles que les casernes).

Dresseurs de #PokemonGO : respectez les règles de la propriété privée & des lieux de culte. Prudence dans les lieux publics & sur la voie publique

Gendarmerie nationale · 25 juillet

Face au phénomène "Pokémon GO", parents de dresseurs Pokémon, ne restez pas démunis ! Restez maîtres du jeu !

 

Ca donne à imaginer des potentialités pour les collectivités

Au-delà de ces précautions et principes de bon sens à rappeler, cet hyper-jeu présente également bon nombre d'avantages et opportunités pour les collectivités.

Tout d'abord, le jeu crée du lien social. Ce n'est pas rien dans une période où chacun se méfie de l'autre et où les communautarismes progressent. De là naît une hésitation pour les collectivités : faut-il encourager le phénomène pour mêler les gens, les pousser à échanger, à se parler, y compris entre générations (il y a aussi des seniors dresseurs, mais c'est presque aussi rare qu'un « Metwo ») ? Faut-il décourager les rassemblements, qui par nature présentent un danger face à une menace terroriste ?

De fait, les communicants publics ne se sont pas contentés de limiter les risques. Ils ont, pour certains, fait preuve d'une remarquable réactivité face à un élément extérieur qui leur est tombé dessus, qui plus est en une période estivale où il est difficile de mobiliser la chaîne hiérarchique.

Il faut dire que les community managers ont pour leur grande majorité joué aux Pokemons (les cartes honnies des parents) lorsqu'ils étaient plus jeunes, quand ils ne sont pas toujours addict.

Je ne reviendrai pas par le détail sur les multiples initiatives relevées par Cap'Com (lien). Elles démontrent comment nos collègues ont su s'appuyer sur l'ancrage micro-local qui fait le ressort de ce jeu mondial. Car même virtualisée, la chasse met trois parties en présence, mises en relation par la deuxième : les dresseurs (administrés ou visiteurs), les pokemons et le terrain : notre ville, nos quartiers.

Pokemon Go constitue une publicité majeure pour certaines zones qui peinent à générer de l'attractivité par elles-mêmes, ou qui sont (injustement ou pas) méconnues.

Une commune pourra ainsi faire de ses pokemons rares un réel but de visite pour de nombreux visiteurs en se montrant particulièrement prévenante envers les dresseurs voire en les fédérant.

Dans la valorisation des quartiers, pourquoi ne pas imaginer encore un parcours sur le thème du feu (arts du feu, travail des artisans d'art, ferronnerie…) en le croisant avec une chasse aux pokemons de ce type ? Ou sur la thématique de l'eau, pour valoriser les étangs d'un territoire y compris sur une communauté de communes qui trouvera peut-être là le liant, le trait d'union qu'elle recherchait depuis longtemps ?

C'est aussi une nouvelle façon de parler aux jeunes, cette cible insaisissable que les politiques appellent de leur voeux mais dans une langue qui leur est étrangère. Est-ce qu'une chasse aux pokemons peut permettre de faire passer des messages, et comment ? Il reste à inventer une forme qui s'intègre de façon pertinente, mais l'interface de discussion est là !

On peut ainsi imaginer des accords avec la production du jeu (qui y a déjà pensé semble-t-il par rapport à des marques privées) pour situer les endroits clés du jeu (pokestops ou arènes) dans des lieux destinés à la jeunesse, dans une visée de prévention sociale ou de santé par exemple, pour attirer physiquement les jeunes.

Reste ensuite à les sortir du jeu pour leur parler d'autre chose, et là l'expertise et l'imagination de médiateurs jeunesse incarnés sera très utile…

Enfin, si la puissance planétaire de la marque Pokemon est quasi sans égale, on peut penser que certaines collectivités avec quelques moyens vont s'inspirer de ce succès pour décliner leur propre chasse, en utilisant des symboles du territoire qui braqueront tous les projecteurs sur leur identité propre… Attrapera-t-on un jour les Lyonnais célèbres en 3D directement dans leurs quartiers d'origine plutôt qu'à plat sur le mur qui leur est dédié ?

L'avenir est grand ouvert pour Pokemon Go et ses futurs descendants. Reste à savoir quand même si cette folie estivale confirmera son succès dans les mois à venir ou s'il faudra la ranger au placard où repose Second Life ou sur l'étagère des passions saisonnières...