Imprimer

Démocratie participative : mais qui doit participer ?

Écrit par Yann-Yves Biffe.

A l'échelle locale, le bon sens semble imposer la démocratie participative sur le principe de : « demandons aux intéressés ! » Certes, mais qui est intéressé et qui ne l'est pas ? Généreuse dans l'idée, la démocratie de proximité se heurte facilement à la question de la représentativité et donc de sa légitimité si l'on ne définit pas clairement en amont les règles du jeu… et du nous !

L'Homme, sur le sujet de la démocratie, semble s'être heurté aux limites de l'infiniment grand : la démocratie représentative a perdu la confiance des Français et le scrutin européen est le plus boudé par les électeurs. La solution, comme souvent, est recherchée à l'autre bout du balancier : l'infiniment petit, le microcosmos du politique : la démocratie de proximité ou participative.

Et pour cause, car elle semble ardemment désirée par le citoyen, très favorable sur le principe selon le baromètre de la concertation 2014 d'Harris Interactive pour Res Publica : « 87 % des Français considèrent que la concertation est une bonne chose (une fois qu’ils en ont lu une définition). Pour 78 % des personnes interrogées, elle a pour effet d’associer les citoyens à la vie locale, pour 64 %, elle permet de faire en sorte que les élus tiennent compte de l’avis des citoyens avant de décider et pour 60 % elle permet de renforcer la transparence des décisions et de l’action publique. »

Ca donne à bien définir qui est légitime pour donner son avis

L'idée est frappée du bon sens, c'est d'ailleurs la valeur qu'elle veut mettre en avant et qui fait son succès auprès de la population : les intéressés vont donner leur avis (remarquez qu'on n'a pas dit « vont décider »).

Pourtant, dans cette proposition simple, deux éléments posent problème : définir les intéressés et ce qu'est « formuler un avis ».

Qui est intéressé à un projet ? Bah, c'est évident ! Ceux qui ont un lien avec le sujet ! Evident, oui… Reprenons l'idée d'un arbre (suite logique de ma précédente chronique sur le syndrome Idefix), ou d'un ensemble d'arbres qui pourraient être plantés dans une rue.

  • Option 1 : les services techniques décident tout seuls. Pas démocratie participative.

  • Option 2 : Le maire décide avec l'adjoint aux espaces verts. Démocratie représentative au carré.

  • Option 3 : On va demander l'avis des intéressés. Démocratie participative et début des problèmes si on veut bien se pencher dessus.

On associe à la réflexion, bien sûr, les riverains. Ils peuvent dire si cela leur plaît d'avoir un arbre devant chez eux ou s'ils pensent être gênés par les feuilles qui vont leur couper la lumière du soleil et pourrir dans leurs gouttières en hiver.

Mais les riverains ne sont pas propriétaires de la rue devant chez eux ! Et si chaque riverain refuse un arbre devant chez lui, il n'y en aura pas dans la rue, alors que les gens du quartier aimeraient bien un peu de verdure…

Alors on va demander à ceux qui habitent dans la rue. Ils y vivent toute la journée. Enfin, certains y rentrent mais leurs fenêtres donnent sur l'autre rue, derrière. Et puis certains arrivent tard dans la nuit et repartent tôt le matin… Ils n'en voient pas grand-chose de la rue, mais c'est leur adresse. Il y a aussi des propriétaires bailleurs qui n'habitent pas là mais sont très intéressés par le devenir de l'environnement de leur bien immobilier… où ils ont peut-être prévu d'aller vivre, plus tard…

Oui, ceux-là ont un intérêt dans la rue. Mais en sont-ils les seuls utilisateurs ? Il n'y a pas un portail à chaque bout de la rue dont les seuls riverains auraient la clé.

Les voisins des rues adjacentes donnent aussi sur la rue, ils voient le haut des arbres apporter une touche de vert sur le rouge ou le bleu des toits pour les plus éloignés. Bien sûr, ils empruntent régulièrement cette voie, à pied ou en voiture, pour partir ou revenir chez eux. Donc eux aussi sont légitimes pour donner leur avis.

Mais il n'y a pas de péage à l'entrée de la rue avec accès libre pour les seuls habitants du quartier. Les habitants des autres quartiers de la ville passent aussi par là, au gré de leurs déplacements, ou parce que justement cette rue est agréable pour se promener et le sera encore plus avec des arbres. Et en plus, leurs impôts servent aussi bien à cette rue qu'à celle où ils habitent, peut-être même plus (sûrement même, avec un peu de mauvaise foi au besoin). Pour sûr, tous les habitants de la ville ont le droit de demander à ce qu'il y ait un arbre dans cette rue. Donc il faut faire un référendum communal pour cet arbre !

Cependant, il n'y a pas non plus d'octroi à l'entrée de cette ville. Des habitants des communes voisines ont pris l'habitude de se promener dans cette jolie rue. Peut-on modifier leur parcours sans leur demander leur avis ? D'autant que les communes tirent leurs revenus pour une bonne part de la dotation globale de fonctionnement versée par l’État, donc l'arbre, ce sont un peu les Français qui vont l'acheter…

Les Français d'ici mais aussi de l'autre bout de la France. Cette rue touristique attire les visiteurs, ceux d'hier, d'aujourd'hui, ceux de demain, encore plus nombreux avec la perspective de cet arbre ! Alors c'est une consultation nationale, que dis-je mondiale qu'il faut organiser séance tenante !

Bref, du rendez-vous de concertation avec le riverain au référendum international, la démocratie participative fait le grand écart… mais elle a la même légitimité. Le véritable écueil est en fait de ne pas bien définir au départ qui sont les personnes intéressées, ou de ne pas s'y tenir. Les règles du jeu doivent être posées clairement, en particulier si un vote est organisé, au risque, dans le cas contraire, de décrédibiliser la démarche.

De même, il faut définir à qui la parole est donnée, qui peut s'exprimer. Si chaque foyer obtient une voix, on simplifie la question logistique mais on sur-représente la veuve dans son studio par rapport à la famille de 15 personnes dans la propriété qui fait la moitié de la rue. Si chaque adulte a une voix, on sur-représente la population par rapport à la propriété. Si on donne la parole aux seuls électeurs inscrits, on oublie les non-inscrits, les étrangers, les enfants...

Vous l'avez compris, il n'y a pas de bonne réponse. Là-aussi, il importe surtout de définir dès le départ de la concertation les conditions d'expression. Sinon, bonjours le désenchantement, toujours sous-jacent concernant la concertation : « 69 % des Français estiment qu’elle a pour effet de faire croire qu’on écoute les citoyens tout en décidant sans eux et 65 % qu’elle sert à augmenter l’adhésion des citoyens aux décisions déjà prises. » selon le Baromètre de la concertation cité plus haut.

La démocratie de terrain a beau vouloir s'opposer à la démocratie sondagière, c'est la rigueur de la démarche qui donne leur valeur à ces deux formes d'expression démocratique. Pardon ? Vous ne rangez pas les sondages (je veux dire les vrais, réalisés par des instituts formés à cela) dans les outils de la démocratie ? Et finalement, si ces sondages, tellement décriés par les médias qui en raffolent, étaient la forme de démocratie participative la plus représentative localement ? Mis à part le référendum, n'est-ce pas la seule forme d'expression directe où la combinaison des statistiques et des critères socio-géographiques (quand c'est bien fait) donne un résultat à peu près représentatif ?

Ca donne à penser que les limites de la participation grossissent avec la population concernée

C'est bien possible, mais la forme du sondage ne semble pas à même de donner au peuple l'impression de s'exprimer. Les sondages, la présidence de la république les connaît bien et ce n'est sans doute pas la réponse qu'en attend le titulaire en appelant à plus de participation : « Deux mois après la mort d'un jeune homme sur le chantier du barrage de Sivens, François Hollande avait annoncé fin 2014 lors de la conférence environnementale donner six mois au gouvernement pour faire des propositions en matière de démocratie participative. Le 6 janvier, Ségolène Royal, la ministre de l'Ecologie, a engagé les premiers échanges sur ce sujet lors d'un Conseil national de la transition écologique, où sont représentés ONG, collectivités, syndicats, patronat, parlementaires. Le but, selon le ministère, est « que les personnes concernées puissent participer à l'élaboration du projet, que les différentes options soient examinées et que les autorités puissent décider en toute transparence ».

Bon courage ! On l'a vu précédemment, la définition des « personnes concernées » peut virer rapidement au casse-tête au niveau local, difficile qu'il en soit autrement à plus grande échelle.

On dira que la technologie, avec internet, permet aujourd'hui de susciter la participation et de la gérer. L'Assemblée Nationale s'y est exercée récemment : « Début février 2015, l’Assemblée nationale a fait l’expérience d’une consultation citoyenne au sujet de la proposition de loi sur la fin de vie. En deux semaines, près de 12 000 contributions d’internautes ont été enregistrées. Un succès pour Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, qui a initié ce projet et qui souhaite "que tous les Français puissent désormais donner directement leur avis sur les textes soumis aux députés". 

C'est bien en pratique… mais pas en théorie ! J'explique l'inversion de ce théorème basique : tout le monde ou presque peut s'exprimer en ligne désormais, mais c'est un tout le monde indifférencié, des grandes masses sans identité. Il suffit d'organiser un jeu sur internet pour susciter des tricheries. Il est bien difficile d'assurer une expression en ligne qui soit garantie sans fraude. De la même façon, il est difficile d'organiser une expression individuelle qui soit représentative et pas prise en otage par des groupes de pression se cachant derrière de faux profils, défendant leur intérêt, sans mettre en place une technique compliquée, du coup pas attractive et coûteuse.

Rappelons aussi que si les barrières techniques se lèvent progressivement avec le développement du web sémantique 3.0, les outils actuels nécessitent de restreindre le champ de l'expression afin de permettre le traitement des données en un temps raisonnable et efficace.

Notons enfin mais ce n'est pas rien, que si la démocratie participative n'a pas de valeur représentative, a-t-elle même une valeur quelconque ? Si les élus peuvent passer outre, à quoi sert le participatif si ce n'est cautionner des décisions déjà prises ?

A l'inverse, si la démocratie participative a une valeur représentative, alors elle pose la question même de la légitimité de la démocratie représentative ! Les élus du peuple peuvent-ils prendre une décision quand le participatif, donc le peuple, a massivement dit non ? S'ils ne le peuvent pas, à quoi servent-ils ?

Entre bonnes intentions et hypocrisies, le débat participatif reste ouvert et pour compléter Coluche qui a rendue célèbre la maxime : si la dictature c'est « Ferme ta gueule », la démocratie, c'est « Cause toujours » et la participation : « Tu m'intéresses » !...