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L’entretien d’évaluation, parce que je le vaux bien !

Écrit par Yann-Yves Biffe.

Avec la fin de l’année reviennent la préparation du budget, des cartes de vœux, les crottes de chocolat, le Forum Cap’Com… et les entretiens d’évaluation annuels. 

Quel que soit le côté du bureau d’où l’on parle, l’exercice séduit peu de prime abord. Parce que ça prend du temps, que vous avez forcément autre chose à faire et que ça semble (toujours) pouvoir passer après... Pourtant, une évaluation bien menée (c’est-à-dire pas seulement pour répondre à une contrainte réglementaire) rapporte plusieurs fois la mise !


Ca donne à booster l’évalué

D’après l’enquête Changements organisationnels et informatisation menée par l’INSEE en 2006 et utilisée dans la note d’analyse n°239 de septembre 2011 du Centre d’Analyse Stratégique,  les salariés évalués tirent plutôt avantage à l’être. En moyenne, les salariés évalués sont plus nombreux à se déclarer satisfaits de leur rémunération que les non-évalués (11% de plus) et déclarent plus souvent que leur travail est reconnu à sa juste valeur (3,4% de plus).
On ne peut écarter, certes, que les organisations qui évaluent sont peut-être aussi celles qui traitent le mieux leurs salariés… mais le rapport entre l’évaluation et le fait de mieux vivre son travail a du sens.

D’abord, parce que « l’entretien d’évaluation permettrait aux salariés de mieux “objectiver” leurs salaires en mesurant l’effort fourni, et pas seulement le résultat observé qui est aussi lié à d’autres facteurs ». Ca va d’ailleurs dans les deux sens et c’est le moment idéal pour faire remarquer à son n+1 que la qualité de son travail pourrait ou devrait objectivement mener à une rémunération révisée à la hausse…

Ensuite, parce que je considère que l’agent, a fortiori public, a fortiori communicant, ne travaille pas que pour gagner de l’argent (cf chronique du 19 septembre), il a besoin de réalisation personnelle et de reconnaissance. Et si celle-ci n’est pas concentrée dans l’entretien annuel et doit être distillée au cours de l’année, elle doit y avoir une place conséquente. Reconnaissance n’est d’ailleurs pas complaisance. Un agent se lassera vite de lauriers hypocrites, alors qu’il pourra vous remercier d’un petit recadrage privé, établi dans le dialogue, afin de lui permettre de repartir sur de meilleures bases.

De nombreux sites ou articles vont diront comment bien mener un entretien d’évaluation, sans doute même votre DRH, qui cherche à former les évaluateurs et à informer les évalués afin que l’exercice soit réussi. Mais au final, qu’est-ce que c’est ? Juste un espace de dialogue, hors de la pression et des interruptions du quotidien : créneau sanctuarisé, téléphone coupé. L’évalué, qui aura préparé l’exercice, fera le bilan de son année, en premier pour ne pas être influencé par son n+1.
Puis celui-ci fera de même. Lui aussi aura bien préparé sa prise de parole, et cette préparation, qui demande encore plus de temps que l’entretien en lui-même, va compter pour beaucoup dans le processus de responsabilisation et motivation de l’évalué, et dans celui de l’évaluateur.
Ils vont échanger sur ce qui a marché, ce qui n’a pas marché, des raisons dans les deux cas, pour les dépasser et travailler mieux l’année suivante. C’est le faire qui est au centre de l’analyse, pas l’être des deux partenaires.
Même si le simple fait de consacrer pleinement du temps (1 h minimum) et de l’attention, d’échanger, doit être un booster pour l’envie de travailler et de réussir, normalement, l’entretien doit déboucher sur la fixation d’objectifs, forcément définis et discutés ensemble pour qu’ils soient respectables et respectés et deviennent un levier majeur de motivation pour l’année à venir.
C’est un point qui peut devenir central pour certains agents, et notamment chez ceux issus de la Génération Y. Assez pour qu’on y revienne dans une prochaine chronique.

Beaucoup d’écueils peuvent faire trébucher l’entretien ou le dénaturer, dans quelques typologies bien décrites par Jean-Dominique Zanus dans un article de la Lettre du Cadre. Certains agents, parce que l’habitude leur tient lieu de ligne directrice, auront du mal à prendre du recul par rapport à leurs missions et le manageur devra redoubler d’effort afin de susciter la parole et ne pas tourner à vide.
Mais pour peu qu’on prenne comme guide, dans le respect mutuel, « l’efficacité, la fiabilité, la reconnaissance et l’équité », les deux parties en tireront quelque chose. Si elles sont de bonne foi.
Dans un but d’équité d’ailleurs, on gagnera à étendre l’entretien à tous les agents du service, quel que soit leur statut. L’entretien étant une marque de considération puissante, il apparaît maladroit d’en écarter les agents non-statutaires, parce que les Ressources humaines ne vous le demanderaient pas. Vous risqueriez de diviser vos collaborateurs entre ceux que vous aurez remotivés et ceux que vous aurez, en réaction, démotivés.

Ca donne à évaluer l’évaluateur

Finalement, si l’enjeu est important pour chacun en tant qu’évalué, il l’est encore plus pour l’évaluateur. Certes, c’est lui qui tient le manche, d’où un apparent confort. Pourtant, c’est sur ses épaules que reposent la responsabilité du bon déroulement de l’entretien et les fruits qui pourront en tomber.

Il tirera profit du fait d’être d’abord évalué par son supérieur hiérarchique, cet échange nourrissant les siens avec ses subordonnées, dans la forme et le fond. La logique impose de commencer en haut de la pyramide, pour mieux ensuite décliner la transmission des objectifs, qui doivent découler des stratégies issues des politiques définies en haut.

L’évaluateur qui voudra vraiment tirer le profit maximum de cet exercice ne devra pas se limiter à ce seul regard descendant. Il ne devra pas hésiter à le dépasser, à le pousser un peu plus loin…. en se faisant évaluer aussi par ses subordonnées. Qu’on appelle la démarche effet miroir ou évaluation à 360°, ainsi que le proposent maintenant toutes les agences de communication, il s’agit ni plus ni moins de se remettre personnellement en cause comme on le demande à l’évalué.
Cela peut poser quelques problèmes aux évaluateurs les plus attachés à la prééminence hiérarchique… et/ou à ceux qui ont le moins confiance en eux. Rassurons-les, il ne faut pas inverser les rôles pour autant, chacun doit savoir en permanence qui commande, ou plutôt qui a la responsabilité finale. Il s’agit plutôt de poser l’honnêteté au centre de la table pour faire avancer chacun, avec l’assurance d’un cadre qui assume ses missions mais qui sait qu’il ne peut être parfait dans l’exercice de celles-ci car, par nature, la gestion de l’humain ne le permet pas.

L’évaluateur n’est pas obligé d’inscrire cette auto-analyse comme une étape formelle, mais il sera forcément confronté au fait de se ré-interroger sur ses pratiques managériales par rapport aux difficultés ou aux succès rencontrés par ses collaborateurs, afin de les éviter ou, au contraire, de les reproduire.
Car dans la majeure partie des dysfonctionnements des subordonnés, il y a un appel qu’on n’a pas entendu, des moyens adéquats qu’on n’a pas donné, des objectifs peut-être mal fixés.
Le subordonné est ainsi encouragé à s’interroger sur lui-même, parce que son supérieur partenaire prend ce risque et prouve qu’il place l’échange sur la thématique de la recherche de l’amélioration de l’équipe. Il va alors de lui-même chercher à placer la barre un peu plus haut pour justifier la confiance qui lui est témoignée et le fait d’être invité à une discussion équilibrée lors de laquelle il va entendre en musique subliminale : « j’ai besoin de vous pour bien travailler ».
Enfin et surtout, outre l’aspect psychologique, si vous l’écoutez bien, dans un échange apaisé, votre collaborateur sera amené à vous donner des clés pour mieux le faire travailler… Il va ainsi vous rendre plus efficace et en mesure d’atteindre vos propres objectifs !

Certes, le tableau dressé est un peu idyllique et de nombreux problèmes peuvent interférer, mais si chaque partie prend le temps nécessaire, on doit pouvoir y tendre.
Alors chiche, cette année, l’entretien annuel, on le fait bien ?