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Communication publique : les charmes discrets de la vulgarisation

Écrit par Yann-Yves Biffe.

 

Si les inspirations d’un manager ou communicant publiques sont forcément variées, auriez-vous imaginé trouver matière (hum) à réflexion pour votre pratique professionnelle dans le best-seller de Giulia Enders Le charme discret de l’intestin ? Pourtant, en prenant un peu de distance on y comprend tout l’intérêt de penser et communiquer simplement d’une part, et d’autre part que le cerveau a pour seule vocation de gérer le mouvement. Sus à l’immobilisme en 2019 !

Une fois n’est pas coutume, je vous propose en ce premier mois de l’année une chronique littéraire, ou plutôt de parler d’un livre toujours d’actualité, même s’il est paru il y a quelques années déjà : Le charme discret de l’intestin, tout sur un organe mal aimé, de Giulia Enders.

Toujours d’actualité, et même doublement en cette période : d’une part parce que vous avez peut-être reçu cet admirable ouvrage dans votre petit soulier car vous aviez été sage pendant l’année (même si un peu ballonné…). D’autre part et surtout parce que vous sortez à peine d‘un triathlon de la bouffe après les fêtes de Noël, celles du 1er de l’an avant de conclure avec la galette des rois qui s’étale sur tout le mois de janvier.

 

C’est donc bien le moment d’évoquer cet ouvrage, pour autant, est-ce bien pertinent dans ce site dédié aux collectivités locales, à leur communication, au management, et à tous leurs enjeux même si ceux-ci recèlent nombre de projets parfois difficiles à digérer ?

Eh bien oui, et doublement là encore : en plus de tous les autres que vous trouverez directement dans le livre, celui-ci révèle deux enseignements majeurs, qui vont, vous amis des collectivités territoriales, vous prendre aux tripes.

Ca donne à confirmer que la vulgarisation, c’est possible

Si je ne peux pas vous résumer ici le contenu de cet ouvrage, je dois vous expliquer qu’il s’agit d’une thèse médicale sur l’activité du ventre. Dit comme cela, rien (ou presque) ne semble pouvoir être plus rébarbatif. Et pourtant, le jeune docteur Giulia Enders, qui est venue à la médecine par la curiosité et l’envie de saisir comment ça marche là-dedans, a décidé de nous faire comprendre des mécanismes biologiques en les mettant à la portée de tous.

Ce qui semblait impossible de la part d’un médecin est porté au grand jour : une écriture lisible puisque tapée au clavier, certes, mais surtout un langage simple avec des mots de tous les jours et des comparaisons de bon sens quand ça devient un peu plus technique. Oublié le langage de sachant qui vise d’abord à faire comprendre à l’interlocuteur que lui ne sait pas pour se concentrer sur l’essentiel : l’envie de partager une information, de transmettre une connaissance.

De plus, le docteur Giulia Enders s’est faite accompagner de sa sœur Gill Enders qui est graphiste et a su appuyer le propos de dessins explicites.

Le tout est nimbé de beaucoup, beaucoup d’humour… ce qui explique que ce propos médical, qui intéresse tout le monde depuis que l’homme est homme et mange trop et mal, mais faisait détourner la tête, s’est transformé en un énorme succès littéraire international.

Quel rapport avec les collectivités alors ?

Le rapport, c’est un encouragement à la communication publique : oui, expliquer simplement, c’est possible ! Si un médecin a pu le faire, a pu transformer des études scientifiques en livre grand public avec des illustrations, alors comment des communicants publics pétris de talent ne pourraient pas y arriver ? Les grands enjeux du mandat, les projets de l’année, les subtilités du débat d’orientation budgétaire : rien ne peut plus vous faire peur, osez rendre les choses compréhensibles, simplifiez, parlez le langage de vos lecteurs, pensez comme eux. C’est aussi, parmi beaucoup d’autres, une des revendications des gilets jaunes.

Vous aurez sans doute l’air moins savant et moins sérieux, mais vous serez compris et votre message perçu et n’est-ce point là l’essentiel ?

Vous devrez peut-être vous fâcher avec quelques collègues, frustrés de ne pas y retrouver leurs virgules, leur orthodoxie de présentation ou plus simplement leurs habitudes, mais dites-vous que si Giulia Enders l’a fait, vous pouvez aussi réussir ce défi ! Et c’est bien le moment de prendre de bonnes résolutions !

Ca donne à favoriser le changement

C’est bien le moment de changer pour faire mieux. Nous sommes tous dotés pour cela et Giulia Enders nous fait la démonstration que l’intelligence sert à gérer le mouvement.

En page 158, l’auteure nous présente l’ascidie. Cet animal que j’aurais bêtement décrit comme une algue, a une forme d’outre « fixée au rocher. Selon l’Aquarium de la Rochelle, il se nourrit en filtrant l’eau pour récupérer les micro-organismes ainsi que les débris organiques. »

Giulia Enders raconte ainsi que « la jeune ascidie navigue à travers les mers. Elle cherche son petit coin de paradis. Dès qu’elle a trouvé un rocher qui lui paraît sûr et à proximité de réserves alimentaires, elle pose ses valises. Une fois qu’elle est installée, elle reste là où elle est quoiqu’il arrive. La première chose que fait l’ascidie quand elle a trouvé l’endroit de ses rêves, c’est qu’elle mange son cerveau. Pour vivre et exister en tant qu’ascidie, on n’a pas besoin de cerveau. »

Elle mange son cerveau ! Ah oui, quand même ! - Attention, même si vous avez un peu trop forcé sur les boissons euphorisantes, cette scène ne doit sous aucun prétexte être reproduite chez vous ! -

De cette tranche de vie édifiante (certains mangent de la cervelle, mais rarement la leur…), Giulia Enders rapporte que le neuroscientifique Daniel Wolpert a tiré la conclusion que « la seule et unique raison d’être d’un cerveau, c’est le mouvement. (…) Tout ce qui a pu un jour changer le cours de l’humanité n’a été possible que parce que nous sommes doués de mouvement. Notre cerveau coordonne ses sens et crée de l’expérience pour générer du mouvement : de la bouche, des mains, sur plusieurs kilomètres ou millimètres seulement. En revanche, quand on est un arbre, on n’a pas besoin de mouvement ».

Manger ne nécessite pas de cerveau. Gérer le quotidien, sans bouger, sans mouvement, ne nécessite pas d’intelligence.

C’est donc être pleinement humain que d’aller vers la nouveauté, d’innover, d’essayer des choses nouvelles, de remettre les postulats en cours en cause et soi avec.

Ca tombe bien, dans nos collectivités, tout est en mouvement, tout est changement, tout doit être repensé pour faire mieux, sans compter les constants transferts de missions ou de compétences ou les évolutions de technologies. Une étude de l’observatoire social territorial de la MNT sur la santé au travail relève notamment que « le management public local est confronté à un double mouvement : répondre aux attentes renouvelées des usagers et garantir aux agents la qualité du travail effectué et l’épanouissement personnel. »

Pas simple à combiner tout cela . Mais cela tombe bien encore : nous sommes, dans la territoriale aussi (et sans doute plus qu’ailleurs!) dotés de cerveaux.

Alors, en 2019, servons-nous en ! Ne nous contentons pas de regarder passer les micro-nutriments ! Inventons nos solutions ! Parce que, si l’ascidie a fait une croix sur son cerveau, l’intelligence artificielle améliore constamment le sien...