Imprimer

L'envie d'avoir envie

Écrit par Yann-Yves Biffe.

Au-delà d’une chanson magnifique, Johnny Hallyday portera pour toujours une question majeure dans le travail et plus largement dans la vie de chacun : d’où vient l’envie ? La motivation peut-elle se décréter ? Y-a-t-il des moyens de la renforcer ? Voyons ensemble comment, encore et toujours « rallumer le feu » !

A vrai dire, je n’avais pas trop envie de parler de Johnny Hallyday dans cette chronique. Parce qu’on en a beaucoup parlé en décembre au moment de son décès, qu’on a déjà tout dit, du mode émotionnellement détruit au mode cyniquement détaché, bref d’un extrême à l’autre.

Mais le chanteur, quoi qu’on en pense, a marqué la société en traversant les époque, ou l’inverse.

Au détour du déchaînement médiatique, chacun était forcément à un moment ou à un autre interrogé sur sa chanson préférée de Johnny, ou interprétée par Johnny devrait-on dire. Et en se posant cette simple question, on repasse forcément quelques pages de sa propre vie, quel que soit son âge. Et des réflexions aussi.

Deux chansons auront particulièrement retenu mon attention : Allumer le feu et L’envie. Parce que les deux traitent d’un sujet majeur, que peu d’autres chanteurs ont traité aussi justement : la motivation. Et pourtant, c’est une composante primordiale de l’être humain et de son action. On louera longtemps les qualités intrinsèques d’une personne. Pourtant, un intelligent à l’arrêt ira moins loin qu’un crétin surmotivé et lors d’un entretien de recrutement, c’est finalement la variable la plus recherchée par le jury qui aura bien trié les CV en amont.

Ca donne à chercher le moteur de l’envie

Au delà de l’incarnation de Johnny Hallyday, ni l’une ni l’autre de ces deux chansons ne donne vraiment de recette en la matière ni de définition. C’est tout d’abord en cela qu’elles sont justes : l’envie, on ne sait pas trop pourquoi ça se déclenche, ni comment, et parfois elle est là, un peu, parfois absente, carrément, ou à l’inverse énorme, dévorante.

Dans la chanson L’envie, l’auteur (Jean-Jacques Goldman pour être précis) explique l’envie par le manque de quelque chose ou le trop plein de son contraire. C’est certain dans de nombreux cas. Mais cela génère une envie par réaction, une envie passagère, superficielle, pas le feu qui alimente la motivation.

Qui peut expliquer d’où vient vraiment l’envie d’avoir envie ?

Vous me répondrez peut-être qu’il suffit de vouloir. Mais peut-on décider d’avoir envie ?

Qui n’a pas été atteint un jour ou l’autre, sans trop savoir pourquoi, par ce qu’on appelle souvent une crise de flemmingite ? Un beau matin, assis devant le bureau, rien à l’agenda et rien envie de faire. C’est parfois utile de se laisser des temps faible pour mieux préparer des temps forts. C’est souvent très passager. Le flot des coups de fils, les rendez-vous qui s’enchaînent, les échéances qui demandent une production ramènent rapidement dans le rythme. Mais quand le phénomène se répète, plusieurs jours, plusieurs fois par jour, alors le danger du manque d’envie guette… Sans trop savoir pourquoi… pourtant il y a des choses à faire… mais pas l’envie, pas pour ça… Attention ! Il faut se faire violence, se forcer à faire des efforts, à sortir de la routine pour ne pas la laisser nous engloutir. A ne pas laisser une petite déprime se transformer en longue dépression.

Ca donne à trouver des leviers dans le management

Est-il possible d’aider un collègue qui serait tombé dans ce trou virtuel ? Personne ne pourra décider à sa place de l’en sortir. Il devra lui-même prendre cette décision s’il veut rallumer le feu durablement.

Cependant, on peut l’aider. Le manque d’envie, c’est souvent un manque d’intérêt. Un manque d’intérêt de la personne pour une tâche ou une mission. Et/ou un manque d’intérêt pour la personne de la part de son environnement, de son manager au travail.

Il faut à un moment casser la spirale négative, aller réveiller la personne en lui montrant de la confiance mais en lui montrant aussi qu’on est persuadé qu’elle peut apporter plus, qu’elle peut nous satisfaire voire nous étonner. Au mieux, qu’elle peut « allumer la flamme dans nos yeux ».

Il est finalement moins dangereux de demander trop à une personne que trop peu.

Selon le baromètre Endered Ipsos, le bien-être au travail dépend de 3 grands facteurs :

- « le cadre de travail » : les moyens matériels, des consignes précises, le soutien des collègues, l’équilibre vie-privée – vie professionnelle ;

- « l’attention » : qui renvoie à la considération de la hiérarchie et au management des compétences ;

- « l’émotion », qui correspond au plaisir, à l’intérêt, à la stimulation et à la confiance dans l’avenir.

Selon ce baromètre, les items relatifs au « cadre de travail » et à « l’émotion » sont bien notés au sein de la fonction publique, mieux que dans les entreprises, à l’exception des moyens mis à disposition.

En revanche, tout ce qui est lié à « l’attention » est moins bien noté, avec en particulier 47 % des agents qui ne se sentent pas considérés par leur hiérarchie.

De fait, à la question « Pourquoi votre motivation diminue ? », les agents de la FPT pointent :

- le management et les relations sociales à 28 %,

- le manque de reconnaissance à 19 %,

- le manque d’intérêt du travail à 19 %,

- la dégradation des conditions de travail à 11 %

- et tout en bas de la liste, les salaires trop bas à 2 %.

Ca donne à penser que le salaire est une motivation secondaire

On pourrait avoir tendance à penser que c’est l’argent qui fait l’envie. Mais c’est finalement relativement secondaire (pour peu que le minimum décent soit assuré et sauf proposition hors normes). L’argent va être une motivation avec un effet qui va s’étioler dans le temps. Ce n’est pas lui qui allume et entretient la flamme de la passion. Promettez à votre dépressif une grosse somme d’argent, il ne va pas aller mieux pour autant (sauf si son problème de base était lié à des soucis pécuniaires évidemment), ou pas longtemps.

La prime n’est pas un moteur de motivation en elle-même. Par contre, elle induit un message positif, une félicitation, une gratification morale, qui veut dire « la collectivité est contente de votre travail, vous pouvez être fier de vous ». Ainsi une prime collective uniforme fera plaisir mais aura moins d’incidence qu’une prime individuelle ou par service.

C’est un peu une des logiques qui sous-tendent la mise en place du RIFSEEP, régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel. Celui-ci substitue dans la fonction publique aux primes préexistantes une nouvelle indemnité principale versée mensuellement, l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) à laquelle peut s’ajouter un complément indemnitaire versé annuellement (CIA) en fonction de l’engagement professionnel et de la manière de servir. La volonté est d’arriver à une approche plus individualisée, donc susceptible d’être plus motivante, même si elle reste très encadrée. Cependant les pressions pour une application systémique et systématique sont fortes...

Mais laissons de côté, au moment d’ouvrir un nouvel exercice annuel et de s’attaquer à de nouveaux défis appétissants, ces considérations financières qui, on l’a vu, ne sont pas prioritaires.

Je vous souhaite pour 2018 d’être vraiment en vie !

Je vous souhaite profondément l’envie d’avoir envie !