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Community managers publics, restez couchés !

Écrit par Yann-Yves Biffe.

Si le digital excite les imaginations des communicants, il use aussi leurs énergies. Sous le joug d'une réactivité qui irait de soi, le week-end ou pendant la nuit, il émousse la passion que les community managers ont bien voulu rendre publique. Quelles solutions pour l'organisation de la collectivité ? Assurer une astreinte... difficile à répartir dans les service mono-postes ? Ne faudrait-il pas mieux remettre en cause le postulat de départ : et si ce service en horaires décalés n'était attendu que par nous ?

Le développement du numérique bouleverse les usages (même si le magazine reste pour l'heure le media préféré des administrés) et en corollaire, modifie en profondeur les organisations des services communication. A tel point que seront dévoilés lors du prochain forum Cap'Com les résultats d'une étude menée avec Lecko sur les changements entraînés par le numérique. Le champ d'investigation est vaste et a priori très hétéroclite (réponse à la Rochelle). Couvrira-t-il la question de la disponibilité digitale ? Ou pour l'exprimer autrement, le « comment on s'organise pour répondre hors des temps de bureau ? »

 

Ca donne à s'interroger sur les amplitudes horaires des community managers

Car évidemment, la page Facebook ne s'arrête pas avec un petit écriteau qui apparaîtrait à 18 h : « Page fermée, réouverture demain 9 h ». L'internaute passe quand il veut, voire à toute heure, et il est de bon ton dans la sphère internet de faire preuve de réactivité et de ne pas y transférer l'image du fonctionnaire aux yeux plaqués sur l'horloge.

Lors du carrefour numérique consacré l'an dernier à Twitter, lors du Forum Cap'Com de Montpellier, Franck Ménigou, responsable digital du Pôle médias numériques à la direction de la communication de la Ville de Toulouse / Grand Toulouse avait marqué l'assistance en annonçant que lui et ses collègues se faisaient fort de répondre aux sollicitations jusqu'à des heures avancées de la nuit, week-end inclus.

D'autres collectivités se sont lancé de tels défis. Mais cela ne va pas sans poser de questions. Par exemple celle de Benjamin Teitgen, directeur adjoint de la communication de la Ville de Besançon et co-animateur des carrefours 2013, au sujet de la qualité de la réponse, des investigations et validations à obtenir pour des sollicitations complexes à mettre en balance avec la rapidité.

Certains penseront que ce sont des problèmes de riches, et que le leur, c'est déjà de pouvoir dégager le temps nécessaire... hors temps de travail !
Effectivement, nombre de community managers s'investissent hors cadre réglementaire, portés par la passion et poussés par l'envie de bien faire leur travail, considérant que cela va de soi que de se rendre disponible à tout moment ou presque.

Mais ce modèle peut-il devenir pérenne ? N'est-il pas porté par la relative jeunesse (voire précarité) de ces agents ? Dans quelques années, chargés de famille, quand la lassitude aura un peu fait baisser l'essence dans le réservoir de l'envie, comment pourra-t-on les motiver à travailler quand leurs collègues seront en week-end ?

Il y a toujours la carotte pécuniaire qui peut être mise en place. Niveau d'embauche avec grade bonifié sur le contrat, ou primes d'astreinte, le cadre réglementaire territorial sait déjà faire notamment dans la filière technique. Mais le contexte économique rend assez difficile en ce moment l'augmentation de la masse budgétaire et... plus basique, comment se répartir les tour de garde quand on est seul dans le service, cas de nombreuses petites collectivités ?

Ca donne à se fixer des limites raisonnables

Alors il y a une autre solution. Celle de censurer la propre aspiration de nos collectivités à améliorer toujours le service public. Hein ? Quoi ? Oui. Ne plus (ou pas, tant qu'il est encore temps) habituer l'internaute à toujours plus tout le temps. Lui faire comprendre que la nuit, vous êtes comme lui, ou comme la majorité des gens, vous dormez. Que le dimanche, c'est réservé aux urgences et que pour le reste, vous avez aussi une vie IRL.
Si vous êtes un geek, reprenez votre respiration pendant que vous vous dites « Pourquoi être aussi raisonnable ? » Si vous êtes plus normal, vous pouvez vous dire « mais pourquoi pas après tout »...

Il y a deux raisons à cela.

La première est l'aspect budgétaire. On sent bien, et le Gouvernement en premier lieu, une aspiration générale à une stabilisation des impôts, et en parallèle à la maîtrise des dépenses publiques. Ne peut-on faire comprendre à nos administrés que le service public a un prix, et que ce service inclut les horaires décalés dans la réponse sur les réseaux sociaux ?
Certes, les administrés n'ont pas été habitués à prendre conscience de la valeur des prestations que les collectivités peuvent leur apporter. Sans doute parce que pendant longtemps, on a minimisé l'aspect budgétaire pour ne pas faire peur et paraître dispendieux.
Mais aujourd'hui, les citoyens veulent savoir. Cela se traduit notamment dans le Baromètre Epiceum Harris Interactive de la communication locale. Parmi une quinzaine de sujets se rapportant à la vie locale, celui pour lequel les citoyens français pensent que l'information la plus insuffisante est « le prix des services publics », à 65 %, « le budget de la collectivité, les dépenses publiques et les impôts locaux » arrivant en 3è position avec 54 % d'insatisfaits.

La seconde raison pour lever le pied est que, fondamentalement, les administrés ne nous demandent pas cette interaction tous-temps (en majorité s'entend). On m'objectera que si, il y a des internautes qui posent des questions après 23 h et que certains profitent du week-end pour interagir avec leur mairie. Certes. Mais à la marge. D'ailleurs, peut-on leur donner tort ? Puisque nous offrons du service en plus, les internautes y ont recours. Mais ne sont-ils pas aptes à comprendre des règles plus restreintes ? Si les magasins de bricolage étaient ouverts le dimanche, ils auraient des clients. Mais ils sont fermés, et les clients vont acheter leurs chevilles le samedi.
A nous de fixer les règles du jeu, en étant clairs par rapport à cela.
D'autant que les administrés n'ont pas forcément des attentes élevées à ce sujet. Ainsi, selon le Baromètre de la Communication locale toujours, et pour citer Harris interactive : « Globalement, les Français utiliseraient en priorité les supports digitaux dans le but d'obtenir des services concrets. En effet, ils déclarent chercher avant tout une information accessible en permanence (55%) et des services administratifs en ligne (45%). Ces utilisations sont particulièrement fortes chez les CSP+ (respectivement 61% et 51%) et chez les habitants de l’agglomération parisienne (59% d’entre eux cherchent des services administratifs en ligne). A l’inverse, les supports digitaux semblent peu être considérés comme des forums de discussion, comme des moyens d’échanges. Seulement 9% des interrogés voient les supports digitaux comme un moyen d’avoir une relation directe avec les élus, et 8% d’échanger avec d’autres habitants. »
D'où les internautes n'attendent pas de nos collectivités de leur apporter des réponses live la nuit ! Ces éléments nous engagent par contre à améliorer nos sites internet pour en faire de véritables banques de ressources, aussi clairs et intuitifs que possibles, dans lesquels l'administré trouvera lui-même les réponses à ses questions pratiques. Cela nous pousse également à intégrer le maximum de services en ligne afin de permettre aux e-administrés de réaliser leurs démarches de façon autonome.

Ne nous méprenons pas pour autant : ne soyons pas manichéens. L'intervention hors horaires classiques peut aussi s'imposer d'elle-même. L'internaute peut-être ponctuellement très demandeur de recevoir l'information nécessaire au bon moment, et ce moment peut parfois tomber la nuit ou le week-end. Nous avons rencontré cette situation dans le Département des Ardennes, comme dans de nombreux Conseils généraux, en charge des routes et du transport scolaire. Aucune opération de promotion de notre page facebook (même Woinic contre-attaque ! ) n'aura attiré autant de fans, n'aura généré autant d'engagement via des prises de paroles et partages, que quand nous avons informé les collégiens que leur car passerait, ou pas, le lendemain matin, ou leurs parents que la route les menant au travail serait dégagée.
Mais cette réactivité peut rester exceptionnelle et événementielle, sans que les internautes ne nous en tiennent rigueur en période normale.

Ca n'empêchera pas certaines collectivités comme Toulouse de mettre en avant la profondeur de leur service digital. Très bien. Mais c'est peut-être finalement plus un affichage, une promesse (tenue) marketing qui vise à installer une image de modernité et de service... plus qu'un service attendu en soi. En tout cas, si quelques unes ont les moyens d'aller dans la Rolls du service numérique, cela ne doit pas constituer pour les autres une référence inatteignable et frustrante. Vos administrés, s'ils sont bien informés, peuvent vous savoir gré de rouler dans votre Twingo !